« Notre situation est bien pire que celle des médecins libéraux. Mais nous, on n’est pas assez organisés pour se mettre collectivement en grève ! » s’exclame un dentiste libéral de Mamoudzou. Alors que le mouvement de grève des médecins hospitalier est suspendu, la question du désert médical continue de se poser dans de nombreux domaines et particulièrement en matière de soins dentaires. Et lorsqu’il s’agit d’évoquer la masse de problèmes auxquels ils sont confrontés, les dentistes que nous avons rencontrés ont tous expressément demandé à ne pas être cités. Aucun ne souhaite se retrouver dans la ligne de mire de la Sécurité sociale qui concentre l’essentiel de leurs critiques.
« Nous sommes 13 dentistes. Ce n’est même pas assez pour créer un conseil de l’ordre départemental qui en nécessite 14 ! » poursuit un autre praticien. « 13 dentistes pour une population de 212.000 habitants… Si on regarde la densité métropolitaine, nous devrions être plus d’une centaine. »
Mayotte n’est pas attractive pour les dentistes
Mayotte n’arrive pas à attirer des praticiens, à l’image des difficultés que rencontre le CHM (Centre hospitalier de Mayotte) à pourvoir ses postes. « On a même des difficultés à trouver des remplaçants pour les cabinets libéraux lorsqu’on s’absente. Pour la même quantité de travail, un dentiste fait souvent un chiffre d’affaires deux fois supérieur par exemple à La Réunion ou en métropole. »
C’est la nature des consultations qui est très différente comparée à l’hexagone. Alors qu’en métropole, les prothèses représentent 40 à 50% du chiffre d’affaires, cette proportion tomberait à 15% à Mayotte. Les soins, beaucoup moins rémunérateurs, occupent l’essentiel de l’activité. « 80% des mahorais seraient éligibles à la CMU qui n’est pas en place. Quant aux mutuelles, elles sont encore rarement souscrites localement. Et donc, les patients n’ont pas les moyens de se payer des couronnes par exemple. » Si le prix des produits de soins et des appareillages importés est naturellement bien plus élevés que dans l’hexagone, les surcoûts s’additionnent et parfois de manière inattendue : « Pour réaliser des prothèses en céramique, nous devons envoyer nos moulages en métropole faute de laboratoire à Mayotte. Donc dans ce cas, quand vous traitez un patient, vous devez payer des Chronopost à 50 euros !»
Pas de programme M’T dents pour les enfants
Autre absence pointée du doigt : le programme M’T dents. En métropole, pour les enfants de de 6 à 18 ans, les examens bucco-dentaires sont gratuits car intégralement pris en charge par l’Assurance Maladie sans avoir à avancer les frais. « Ici, rien de tout ça. Nous sommes dans un vide conventionnel. Résultat, lorsque des jeunes veulent intégrer l’armée ou le GSMA par exemple, ils doivent se présenter chez le dentiste et on découvre bien souvent 3, 4 ou 5 caries qui n’ont jamais été traitées. On considère généralement, que les enfants mahorais ont deux fois plus de caries que les petits métropolitains. Peu d’hygiène, beaucoup de sucres et aucun suivi, les conséquences sont évidentes. »
« A Mayotte, nous avons tout de même la prise en charge gratuite des femmes enceintes à partir de leur 6e mois de grossesse. Mais non seulement, ce dispositif est très peu connu, mais la plupart des femmes pensent qu’aller chez le dentiste à ce moment-là est prohibé. Donc très peu d’entre elles en profitent. »
Pour les dentistes, pas de doute, la sécurité sociale est en partie responsable de la situation. « Il nous faudrait le même conventionnement qu’en métropole avec des tarifs supplémentaires pour couvrir nos coûts. C’est une des conditions pour que Mayotte redevienne attractive et qu’on puisse espérer l’installation de nouveaux confrères. »
Il y a urgence à repenser tout le système de soins dentaires en place à Mayotte. Car selon les statistiques de l’ARS (Agence régionale de Santé), près du tiers des dentistes du département est âgé de plus de 55 ans. Si rien n’est fait, leur nombre pourrait encore diminuer dans les années à venir.
RR