Future maison de santé mentale, « il ne s’agit pas de vendre la psychiatrie à l’associatif »

Suite aux inquiétudes du Dr SANS, psychiatre alarmé par la situation du secteur à Mayotte, l'ARS et Mlezi ont bien voulu réagir et expliquer l'esprit de la future maison de la santé mentale. Tous deux défendent un projet de coopération et nient tout transfert de compétence de l'hôpital vers le privé.

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Dahalani M'houmadi

Dans notre édition de ce mercredi, nous donnions la parole au Dr Pierre SANS, éminent psychiatre qui multiplie les missions depuis qu’il est en retraite. Ses craintes sur le rôle futur de Mlezi Maore dans la psychiatrie à Mayotte étaient l’occasion de donner la parole à l’ARS et à l’association, afin de préciser ce qui sera la future organisation de la santé mentale à Mayotte.

En premier lieu, pas d’ambiguïté, « l’offre en santé mentale est aujourd’hui clairement  insuffisante sur le territoire de Mayotte » concède Patrick Boutié, directeur de l’offre de soins à l’ARS, joint par téléphone. « Aujourd’hui, le service de psychiatrie du centre hospitalier de Mayotte traverse des difficultés organisationnelles et structurelles, issues de nombreuses actions qui n’ont pu se mettre en place depuis 2018 et qui ont conduit à un épuisement des équipes soignantes dont certains ont démissionné depuis début 2021″ confirme ce dernier.

Après « un travail collaboratif  de plusieurs mois et impliquant plus de 50 personnes », l’ARS et Mlezi Maore se sont saisis d’un appel à projet national dans le cadre du FIOP (fonds des innovations des organisations de psychiatrie). De ces travaux est ressortie selon l’ARS « la nécessité de faire travailler les acteurs ensemble, en coopération et non en concurrence. Regrouper les ressources autour d’un projet est tout l’enjeu de la future maison de santé mentale de Combani portée par l’ARS, le CHM et Mlézi Maoré qui va, pour la première fois à Mayotte,  permettre aux différentes équipes  de la psychiatrie du médicosocial et du social  de travailler ensemble, sur un même lieu et pour un même objectif : améliorer le parcours des patients en santé mentale sur ce secteur. »

« On devrait se réjouir de voir Mayotte comme un territoire pilote de cette innovation », abonde Dahalani M’houmadi, directeur de Mlezi Maore. « Aujourd’hui le sanitaire et le médicosocial ne restent pas chacun dans leur coin mais savent parler, collaborer et mettre leurs forces en commun pour la population ».

Pour le directeur associatif, « on est conscients qu’à Mayotte au vu de la précarité si on n’a pas un suivi social et médicosocial, on perd le patient. C’est très intéressant que des acteurs comme Mlezi et le CHM puissent se parler sur des offres de service renouvelées, différentes, complémentaires et renforcées, au service du territoire. Ce n’est pas une maison de santé mentale de Mlezi Maore mais une maison montée par le CHM avec Mlezi Maore. Et ce n’est pas un centre psychiatrique, c’est un lieu où se retrouvent la question du social, du médicosocial, de l’administratif, tout en considérant la dimension culturelle, car les Mahorais ont déjà une approche de la santé mentale, il faut les intégrer dans la démarche. Cela donne une offre intéressante qui allie différents corps de métiers » plaide-t-il. Et de balayer toute privatisation de la santé mentale. « Il n’a jamais été question que Mlezi prenne en charge la psychiatrie, c’est le métier du CHM, mais on pense que des passerelles sont possibles, c’est la poursuite d’une coopération qui existe déjà notamment dans le domaine du handicap ».

« L’esprit de cette maison c’est bien de faire travailler les équipes ensemble, il ne s’agit pas de vendre la psychiatrie à l’associatif » corrobore Patrick Boutié à l’ARS.  « La psychiatrie répond à des normes sanitaires, seul le CHM a les autorisations, c’est donc bien le CHM qui portera cette offre de soins, au sein d’une maison multisectorielle avec des relations entre les dispositifs ».

Selon lui, les inquiétudes du Dr Sans proviennent de « plusieurs ambiguïtés ».  « Je me suis étonné de ses propos sur une privatisation de la psychiatrie. L’offre de psychiatrie est clairement hospitalière mais Mayotte ne va pas déroger aux directives nationales, le propos c’est de faciliter le parcours de soin des patient » explique-t-il encore. Selon lui, le CHM et Mlezi partageront des locaux sans changer leurs cœurs de métier respectifs.

Allier le médical et le social en un même lieu

En février 2020, la secrétaire d’Etat Christelle Dubos avait visité la MDA à Mamoudzou

« La MDA (maison des adolescents) est un projet social, nous avons décidé de permettre à Mlezi de proposer une réponse à des jeunes en réelle souffrance, nous avons donc autorisé Mlezi à recruter un généraliste, et à mettre en place une consultation psychiatrique au sein de la MDA car ces jeunes qui viennent peuvent avoir des problèmes somatiques ou psychologiques sans en être conscients ».

Les recrutements de psychiatres par Mlezi concerneront donc cette maison des adolescents dans toutes les antennes de l’île, à Mamoudzou, dans le sud et à Combani. Ils auront « un boulot différent » du psychiatre du CHM qui restera affecté au centre médico-psychologique.

« L’avantage de ce partenariat c’est qu’il y aura un rapprochement des réseaux, psychiatriques, associatifs, de ville. C’est là l’axe majeur de notre programme de santé mentale » conclut le responsable de l’ARS.

Autre point complémentaire, le CHM devrait lui aussi développer son offre de soins avec une pôle de santé mental dédié. Actuellement, la psychiatrie dépend du pôle médecine et rééducation.

« Enfin, un pôle de santé mentale sera créé au CHM, précise l’ARS dans une note écrite. « Les psychiatres pourront ainsi s’organiser pour répondre aux besoins de la population qu’ils traitent, rédiger leur  projet de service. Redonner la main aux psychiatres pour s’organiser c’est également un facteur d’attractivité.  Il faut aussi leur donner les bâtiments adaptés à leur exercice.

C’est ainsi que dans le cadre des opérations d’investissements prévues dans le Ségur de la Santé, le nouveau schéma immobilier du CH de Mayotte projette le nouveau service de psychiatrie au sein de l’ancien site hospitalier de Dzaoudzi. D’abord d’une capacité de 10 lits, il sera étendu pour accueillir 20 adultes et 10 enfants dans des bâtiments séparés. Ce nouveau site, finalisé dans 18 mois, améliorera la qualité d’accueil des patients et de travail des soignants ».

Ces évolutions pourraient également densifier la présence médicale à Mayotte, si elles atteignent les objectifs affichés.

« La coopération c’est aussi travailler avec les équipes hospitalières du CHU et de l’établissement de santé mentale de la Réunion (EPSMR), pour la prise en charge des patients difficiles et cas complexes en psychiatrie, et aussi pour attirer à Mayotte des jeunes médecins en formation ».

La maison de santé mentale devrait ouvrir ses portes dans les prochaines semaines. Aucune date n’est pour l’instant annoncée.

Y.D.

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