Les naufragés de Tromelin ressuscités

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Les coordonnées exactes de Tromelin n'ont été établies qu'en 1955 (15° 53' Sud et 54° 31' Est)

Une troisième mission de scientifiques a séjourné, au mois de septembre, sur l’île Tromelin, théâtre d’un des épisodes les plus honteux et spectaculaires du 18e siècle dans l’océan Indien. En 1761, 88 esclaves y furent abandonnés. Durant 45 jours,  les archéologues ont tenté d’élucider leurs conditions de survie matérielles et psychologiques.

Les coordonnées exactes de Tromelin n'ont été établies qu'en 1955 (15° 53' Sud et 54° 31' Est)
Les coordonnées exactes de Tromelin n’ont été établies qu’en 1955 (15° 53′ Sud et 54° 31′ Est)

Il y a dans l’imaginaire collectif, de grandes épopées maritimes, souvent glorifiées. Des moments d’Histoire qui ont tracé un sillage commun de grandes découvertes. Le marin, fier et frondeur, prêt à prendre l’amer océan durant des mois voire des années est l’image d’Épinal de la grande époque de la marine à voiles.

De Saint-Malo la cité corsaire vers les Antilles ou, en passant le Cap de Bonne-Espérance, vers les possessions françaises de l’océan Indien, Bourbon, Île-de-France, Madagascar, les conquêtes d’hier ont encore un large écho aujourd’hui, en forme d’héritage colonial, un héritage loin d’être toujours glorieux.
La traite humaine et l’esclavage sont les autres images de cette époque, profondément imprimées dans les mémoires. L’horreur. Dans notre région, ces trafics d’esclaves ont un symbole : l’abandon des naufragés de l’île Tromelin. Une quatrième mission de fouille archéologique vient de s’y achever.

Perdu au large de Madagascar, Tromelin est un îlot corallien d’un petit km², à 560 km au nord-ouest de la Réunion. En juin 1761, l’Utile un navire à voile (une flûte) de la Compagnie française des Indes Orientales, en provenance de Madagascar et à destination de l’Île-de-France (l’actuelle Ile Maurice), fait naufrage sur ce bout de terre émergée, entouré d’abysses de plus de 4 000 mètres. À son bord et à fond de cale, se trouvent 160 d’esclaves, hommes et femmes, embarqués illégalement par le capitaine Lafargue dans l’espoir de se constituer un important pécule en les revendant comme bêtes de somme des champs de canne à sucre.

Terrible naufrage sur l’Ile de sable

Suite à une erreur de navigation, le navire vient s’encastrer dans la barrière de corail entourant cet îlot, fantasmé et redouté par les navigateurs et connu, à cette époque, sous le nom de l’Île de sable.
Le naufrage est terrible. Mis à l’eau au milieu des déferlantes s’abattant sur le corail, 122 hommes d’équipage et 88 esclaves réussissent à regagner le rivage. Le choc de l’accident passé, la petite société nouvellement créée se met en branle. Tous participent à la construction d’une embarcation de fortune en récupérant les débris et l’équipement du navire, pour tenter de rallier cette Ile-de-France encore si lointaine.

Deux mois plus tard, le phœnix de l’Utile est mis à l’eau. Mais, contrairement à ce qu’ils espéraient,  tous les naufragés ne vont pas embarquer. Seul l’équipage est autorisé à son bord. Les esclaves sont lâchement abandonnés à leur sort sur leur bout de sable. On leur promet de prévenir les autorités et qu’un navire viendra bientôt les chercher. Ils seront secourus… 15 ans plus tard. Le 29 novembre 1776, après plusieurs tentatives, le chevalier de Tromelin, commandant de la corvette La Dauphine, réussit à poser le pied sur l’île.

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La pelle mécanique a permis de couvrir 200 m² de fouilles

Celui qui donnera, en hommage de son sauvetage, son nom à l’île, récupère 8 survivants, 7 femmes et un enfant de 8 mois. La Dauphine ne s’attarde pas au milieu des déferlantes, pas le temps pour l’équipage de se rendre compte de l’extraordinaire société qui s’est créé en 15 ans d’abandon.

Depuis 2006, quatre missions archéologiques se sont succédé sur l’île afin de percer le mystère des conditions de vie des naufragés de Tromelin.

Aujourd’hui, l’île est traversée d’un bout à l’autre d’une piste capable d’accueillir un Transal, avion ravitailleur de l’armée de l’Air. C’est grâce à l’acheminement par cet avion de plusieurs tonnes de matériels que la mission de 45 jours des 9 scientifiques, sous la conduite de Max Guérout du Groupe de Recherche en Archéologie Navale (GRAN),  a été rendue possible. Une pelle mécanique est même venue prêter main-forte aux pelles et pioches des archéologues.

Des murs de plus d’un mètre contre les cyclones

Ces outils ont permis de fouiller les 350 m² des espaces habités. Les esclaves naufragés s’étaient organisés au sein d’un véritable petit hameau. Pas moins de 10 bâtiments ont été mis à jour durant les différentes missions, sur une surface de 1 800 m². Les murs, fait de plaques de corail, font jusqu’à 1,50 m de large. Pourquoi une telle structure ? Les cyclones, fréquents dans la zone, ont probablement détruit à plusieurs reprises les habitations du village Tromelin, ce qui a conduit par expérience à les fabriquer plus résistante.

Les fouilles ont déterré des myriades d’objets de la vie courante réparés à l’infini.  Vaisselle, récipients,  mais aussi des outils, burin, grattoir, gouge,  témoignent d’une société organisée et maîtrisant les techniques de la métallurgie et de la construction. Les campagnes de 2010 et 2013 ont permis de mettre à jour des silex et des briquets. Ces trouvailles résolvent le mystère du maintien du feu durant 15 ans par les naufragés, de moins en moins nombreux au fil des ans.

Soixante esclaves sont morts durant les 15 ans d’abandon

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La structure des habitations a été mise à jour

Les carnets de bord des marins ayant navigué dans la zone durant les décennies qui suivirent, rapportent l’existence de sépultures. Les dernières recherches se sont révélées infructueuses. L’hypothèse est que les bâtiments météorologiques, construits dans les années 1950 par la France, aient recouvert les tombes. La mission des archéologues a pris fin le 4 octobre, mais va se poursuivre en laboratoire pour analyser tous les objets recueillis.

L’île fait partie des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), mais elle est revendiquée par l’île Maurice. En 2010, un accord de cogestion a été signé à Port-Louis, mais en 2013, Victorin Lurel, ministre des outremers s’est rendu sur place, une façon réaffirmer l’appartenance de l’île à la France. Pas d’abandon de souveraineté sur l’île des abandonnés.

Axel Lebruman

Sources, et pour creuser l’histoire de l’île :

– Irène Frain, Les Naufragés de l’île Tromelin, Paris, Michel Lafon, février 2009
– Max Guérout et Thomas Romon, Esclaves oubliés de l’île Tromelin, Paris, CNRS Éditions, octobre 2010
– Un documentaire de 52 minutes, Les esclaves oubliés de Tromelin, produit par MC4, a été réalisé par Emmanuel Roblin et Thierry Ragobert.
La vidéo de l’expédition 2013
La mission archéonavale
Le compte-rendu des fouilles

 Crédit photographique : TAAF, INRAP, GRAN