CARNETS DE JUSTICE. Ce n’est pas une banale histoire de passeurs de clandestins à bord de kwassas qu’avait à juger le tribunal correctionnel de Mamoudzou ce matin. A la barre, personne n’avait organisé de traversée entre Anjouan et Mayotte pour des immigrants illégaux dans des conditions sujettes à caution.
Les acteurs de l’affaire pourraient être considérés comme venant à la fin de la chaîne, au bout du long voyage imposé aux migrants. On leur reproche d’avoir aidé à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière, en assurant le transport de clandestins entre l’îlot Mtsamboro et Grande Terre.
Trois hommes sont présents au tribunal, les trois pilotes des barques qui ont assuré des rotations. Le quatrième homme poursuivi « brille par son absence » fait remarquer le procureur. C’est pourtant lui, « le cerveau » de ce système organisé.
L’ouverture d’une enquête se fait à Mtsamboro en septembre 2011, après la réception d’une lettre de dénonciation. Des écoutes téléphoniques montrent que « le patron » reçoit de nombreux coups de fil depuis Anjouan et Mayotte, pour le prévenir de personnes déposées sur l’îlot après leur traversée et qu’il faut récupérer.
Et ce « service » est très bien organisé. Les trajets se font à bord de la barque du patron et ne concernent jamais plus de quatre personnes, une façon de déjouer les contrôles : aussi peu de monde sur une barque, cela laisse supposer que l’embarcation est celle d’un pêcheur ou de touristes en promenade.
Le système est aussi bien rodé pour les tarifs : les clandestins qui ont déjà déboursés des sommes importantes pour venir d’Anjouan, doivent rallonger entre 100 et 150 euros chacun pour finir le voyage.
Le président s’adresse aux trois prévenus présents : « Je comprends qu’un Comorien aide des comoriens. Mais je m’adresse aux deux Mahorais. Quand j’entends, dans la rue, les discours virulents contre l’immigration clandestine, je m’étonne que des gens gagnent de l’argent là-dessus alors que pour les Mahorais, cette immigration illégale est insupportable ! »
Les trois pilotes s’expliquent. Le premier est considéré comme un « occasionnel ». Il a dépanné le patron plusieurs fois pour des raisons diverses : « ces gens viennent en masse sur l’îlot où j’ai mon champ. Ils pillent mes bananes et ils prennent aussi des pieds de bananiers. » Il avait donc un intérêt à « évacuer » ces personnes de l’îlot car c’est avec ce champ qu’il nourrit sa famille. Savait-il que c’était des clandestins ? « Je le savais. On m’a appelé et j’ai d’abord refusé. Mais ils avaient des enfants en bas âge et j’ai cédé. »
Les deux autres pilotes, eux, étaient des « réguliers » du système. L’un d’eux est arrivé à la barre menotte aux poignets. Il s’est « mis au vert » à Anjouan dès le début de l’enquête avant de revenir à Mayotte pensant le dossier clos. Mais il s’est fait prendre et dort depuis à la maison d’arrêt de Majicavo, en détention provisoire.
« En tant que pilotes, vous touchiez combien par passager pour chaque trajet ? » demande le président. « 50€, 70€, 100€, c’était très aléatoire. Mais ce n’était pas tous les jours.»
Les quatre hommes sont reconnus coupables. Le pilote « occasionnel » ne récupérera ni sa barque ni son moteur qui seront détruits. Les deux pilotes « réguliers » écopent de peines de 6 et 9 mois de prison ferme et de sursis.
Quant au « patron », sa peine est lourde : deux ans d’emprisonnement dont six mois ferme et 20.000 euros d’amende.
RR
A lire : Les Carnets de Justice