CARNETS DE JUSTICE. Le plus grand des voleurs peut-il être en même temps d’une «honnêteté confondante» ? Voilà la drôle de question à laquelle était confronté le tribunal correctionnel. Parce que l’histoire de Mahamoud n’est pas banale.
Mahamoud était un grand fundi, un homme sage capable d’éloigner les mauvais esprits de la maison. Mieux, il était capable de tout guérir : douleurs, infertilité, manque de réussite, il avait la providence de son côté. C’est du moins ce qu’il disait lorsqu’il rencontrait ses futures victimes. Il y avait bien eu une première plainte déposée contre lui mais l’enquête n’avait rien donné. Probablement cette fameuse providence.
Pourtant, elle a fini par le quitter le jour où il a du se réfugier au commissariat.
Ce jour-là, Mahamoud se sent en danger, la justice populaire, parfois si violente à Mayotte, menace de s’abattre sur lui. Il est poursuivi dans la rue par des personnes qui l’accusent de vol et sont prêts à se faire justice eux-mêmes.
Pour se protéger, Mahamoud n’a pas d’autres choix que de se réfugier dans un endroit sûr : ce sera le commissariat de police. Interrogé par les policiers sur la scène qui se déroule à l’extérieur, il décide de jouer franc-jeu. Il dévoile alors ses capacités et son activité assez particulières.
«Il a une manière d’opérer assez fine, reconnait le Président Rieux. Il a le talent pour entrer en contact avec les femmes. Il a suffisamment de psychologie pour proposer aux gens, exactement ce qu’ils cherchent : les soigner, régler leurs problèmes relationnels ou de santé.»
Mahamoud est un fundi cambrioleur. A défaut de régler les problèmes de ses clients, il les dépouille avec une certaines virtuosité. Pour résoudre les malheurs, Mahamoud arrive à convaincre ses victimes de le laisser rentrer chez elles et de se plier à un rituel agrémenté de religiosité. Tout se termine par la technique de l’assiette.
Les victimes, pour que la bonne fortune emplisse enfin la maison, doivent placer une grosse somme d’argent et des bijoux dans une assiette qu’il recouvre d’un linge avant de la placer sous un lit. Personne ne doit y toucher pendant trois ou quatre jours. Mais c’est lorsque vient le moment de récupérer le récipient, la fortune a disparu et le malheur s’abat effectivement sur les victimes : l’argent, les bijoux et le fundi ont alors disparu.
Au fil de l’enquête, pas moins de 23 personnes sont finalement répertoriées, 23 plaignants dont la plupart ont fait le déplacement au tribunal ce mercredi 20 novembre. Chacun d’eux va défiler à la barre pour relater quasiment la même histoire.
«J’étais avec mon enfant agité et il m’a dit qu’il pouvait le rendre sage», relate une femme. Eh hop ! 500 euros et un collier qui s’envolent. «Il s’est présenté comme le fundi de la femme du sénateur», dit une autre. 1400 euros de bijoux disparaissent. «Il allait guérir ma vieille maman qui n’allait pas bien»… 700 euros et des bijoux.
Il ne conteste rien des faits. Tout juste rectifie-t-il les approximations prêtées aux victimes ou au tribunal, en particulier sur la valeur des bijoux. A l’écouter, elle est la plupart du temps très surestimée. Mais à l’inverse, il peut aussi rectifier la valeur de son vol à la hausse :
– Vous lui avez pris 500 euros, affirme le président
– Non. 1000, rectifie-t-il.
– Il est honnête, plaisante le président surpris de la correction.
– J’ai d’abord pris 500 puis je suis revenu le lendemain prendre 500 supplémentaires.
Mais Mahamoud conteste également formellement quelques vols qui lui sont imputés. Et de fait, face à «l’honnêteté» dont il semble faire preuve dans le récit des événements, le tribunal doute, comme lorsque le mode opératoire diffère sensiblement (une valise posée au-dessus d’une armoire).
Pour démêler ces 23 histoires auxquelles s’ajoutaient celle des trois receleurs à qui Mahamoud revendait les bijoux, le tribunal s’est donné deux semaines de délibéré.
Ce mercredi 4 décembre, le verdict est tombé: il a été condamné pour 19 des 22 vols à 18 mois de prison ferme avec obligation, en compagnie des trois receleurs, d’indemniser ses victimes. Les sommes varient de 500 à 15OO euros par personne. Les receleurs sont condamnés à 1 an de prison avec sursis.
RR