Un bord de route, une paume offerte, les doigts joints : le signe de l’auto-stop à Mayotte ouvre des horizons inattendus. Conductrice ou auto-stoppeuse, j’ai beaucoup sillonné les routes de l’île Hippocampe, toujours en bonne compagnie. Tranches de vie.
« Karibu garini yangou ! » A ces mots, la main sur ma portière passager, la bouéni que je prends en stop éclate d’un rire franc devant mon baragouinage enjoué. Hilare, elle s’installe et entreprend de me faire la conversation en shimaoré entre Chirongui et Kani Kéli. Peu avant, c’était un jeune Malgache qui se rendait à une fête entre amis sur Bambo Est qui m’a accompagnée durant quelques kilomètres.
A Mayotte, l’auto-stop est un devoir. On ne laisse pas quelqu’un sur le bord de la route. Souvent, des Mahorais me permettent de faire un bout de trajet avec eux, en silence, juste parce qu’il est normal de rendre service. Comme ce très jeune homme à la voiture de sport customisée, étonnamment discret au vu de l’exubérance du tuning de son véhicule. Cependant, cette solidarité a des limites : rarement je me suis fait prendre en stop par des Mahoraises. Une jeune Malgache pétillante, qui a parfumé ma voiture de fragrances sucrées, me l’a confirmé : elle non plus n’est pas souvent été aidée sur le bord de la route par des bouénis. De même, les hommes, même les adolescents sortant du lycée, peuvent galérer des heures sous le soleil ou la pluie avant qu’une voiture accueillante ne les prenne en pitié.
Et c’est dommage. Car, le plus souvent, au sein de cet habitacle au temps suspendu, les confidences vont bon train. Politique, société, moeurs, tranches de vie… Chacun se raconte. Un peu trop, parfois : la drague en bagnole est même le sport national à Mayotte. On m’a proposé des maisons gratuites, des travaux de peinture gratuits, des massages gratuits… Voire même des relations sexuelles à but reproductif et militant car vous comprenez, « c’est un problème démographique. Les Comoriens nous envahissent, il faut qu’on fasse des enfants pour reprendre l’île. » Ah, c’est là que je m’arrête, merci.
L’auto-stop : choix de vie ou contrainte
Mais il y a aussi cette adorable grand-mère, toute étonnée que je lui ouvre ma portière, qui me fait comprendre en shimaoré que je suis sa fille, qu’elle est ma mère et qui me tend un gâteau de sucre et de riz en guise de remerciement à la fin du voyage qui nous a menée de Dembéni jusqu’au marché de Mamoudzou.
Des signes de gratitude car le stop, s’il est un moyen pour les jeunes Wazungus de rencontrer la population locale, est une obligation pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter un véhicule ou de prendre le taxi. Des travailleurs aux contrats précaires, des chômeurs, des jeunes voulant sortir le week-end et le soir ou cherchant des stages, des sans-papiers englués dans une misère totale… Ou ces jeunes Mzunguettes, bénévoles dans des structures sociales qui, tous les jours, lèvent le pouce pour aller de Tsararano à Majicavo-Lamir.
Alors, arrêtez-vous pour partager quelques moments de vie avec les habitants de Mayotte. Et merci à toutes celles et tous ceux qui m’ont aidée, accompagnée, dévoilé un bout de leur intimité. Bonne route !
Ornella Lamberti