Toute la semaine, à l’occasion des 25 ans de l’Adie, le Journal de Mayotte vous propose des portraits de Mahorais qui ont réussi à créer leur propre emploi grâce au micro-crédit. Rencontre avec des Mahorais qui se sont donné les moyens de réussir : aujourd’hui, direction Chiconi.
Pas facile d’accéder au banga de Saïd. Sur les hauteurs de Chiconi, il faut suivre un petit chemin glissant avant de pouvoir découvrir son atelier et le sourire qui ne quitte jamais le visage de l’artisan. C’est pourtant ici que les clients viennent de tout Mayotte pour passer commandes au menuisier.
«Lehé», comme tout le monde le surnomme en référence à ses grandes jambes, «de grandes pattes comme le héron», a toujours du travail. Pas de publicité, pas de démarchage, c’est la qualité des produits et le bouche-à-oreille qui lui permettent de faire tourner son affaire. Portes, fenêtres, lits, armoires, tables ou Kibo Bao lamacarara (le plateau en bois qu’utilisent les bouéni pour fabriquer leurs beignets), Saïd Halidi Ahamada s’est fait une excellente réputation.
Çatombe bien : il n’envisage pas la vie sans travailler. «Même le dimanche, je passe dans l’atelier… sinon, j’ai mal aux côtes !» dit-il à moitié en français, à moitié en Kibushi.
L’odeur du bois coupé embaume son atelier, des piles de sapins et de bois rouges importés mais aussi des «bois mahorais» comme du badamier qu’il trouve à Coconi.
Quand on lui demande comment il fait pour amener toutes ces planches, il éclate de rire : «sur la tête bien sûr !» Mais ce n’est pas le plus difficile. Une fois les meubles fabriqués, il faut les remonter par l’étroit chemin vers la route. Lehé va remédier à ce handicap, il a commencé à créer avec sa famille et ses voisins un chemin plus large et plus droit qu’il compte bétonner un jour.
Il tire 250 mètres de câble électrique
La transmission de son savoir-faire lui tient particulièrement à cœur. Lui-même avait appris auprès de son père avant de se lancer, à une époque où on fabriquait tout à la main. Depuis, il s’est adapté aux techniques actuelles avec de nombreuses machines. La toute première, qu’il montre fièrement, il l’avait récupérée à la fin des années 80 et «elle marche toujours !»
Bien sûr, il ne s’en sert plus. Depuis, il acheté de nouveaux établis, des scies et des matériels électriques, et récemment des disques pour créer avec précision rainures et moulures. Tout a changé depuis ses débuts. Grâce à l’électricité, arrivée en 2006 dans son atelier avec les 250 mètres de câble qu’il a tirés depuis son habitation. Grâce aussi à deux prêts de l’Adie qui ont permis d’accélérer son développement : 5.000€ puis 10.000€ pour toujours mieux s’équiper et s’agrandir : il est à l’étroit dans son atelier en bois et tôles.
«Prendre un petit crédit, c’était quelque chose de naturel pour moi. Mon père, quand il travaillait, était déjà allé à l’Adie pour acheter une machine. J’ai fait pareil !»
La relève
Lehé travaille seul mais des jeunes passent souvent chez lui. Ils l’observent pendant quelques heures puis repartent. Ils l’aident aussi à remonter les meubles vers la route. «J’aime bien partager, mais je n’ai pas les moyens d’embaucher un jeune. Avant, dans le système ancien, les parents envoyaient leurs enfants se former, et ils payaient pour ça. Maintenant, c’est l’inverse. Il faut payer salaire et cotisations. Je n’ai pas les moyens.»
Il y a quelques jours, il a surpris un de ses cinq enfants sur internet qui cherchait des informations sur le métier de menuisier, les techniques et les formations. «Il ne sait pas encore ce qu’il veut faire. Il réfléchit. Je ne le forcerai pas mais s’il devenait menuisier, ça me ferait très très plaisir.»
RR