Des zones de sécurité sont imposées par l’Europe aux extrémités des pistes d’aéroport, mais à Mayotte, rien n’est simple. Une histoire qui parle de mosquée et de dugongs…
Il n’aura pas fallu longtemps après le départ de Thierry Repentin, ministre délégué aux Affaires européennes, pour que Mayotte commence à basculer dans le camp des eurosceptiques : la trahison ressentie par le Syndicat des pêcheurs de Mayotte en est le premier coup d’éclat. Et il se pourrait que le deuxième soit l’allongement de la piste. Le gouvernement a sa part de responsabilité dans les deux cas.
Pour rappel, la problématique d’une piste plus longue pour desservir l’île par les longs courriers et ainsi s’exonérer d’une escale réunionnaise ou malgache, onéreuse pour le voyageur, avait été officialisée par la convention de développement pour Mayotte signée en 2003 par Brigitte Girardin alors Ministre de l’Outre-mer. Elle stipulait que «le développement économique de Mayotte nécessite de se rapprocher de la métropole grâce à l’établissement d’une liaison aérienne directe par gros porteur. Ce qui implique que l’aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi soit doté d’une piste longue et d’une nouvelle aérogare». Ce fut le prétexte d’un débat public en 2012 qui fut clos par un renvoi du projet à une date ultérieure.
Adieu les gros porteurs 777 alors que la sécurité des 737 n’est parallèlement pas assurée en saison des pluies sur une piste qui mesure 1.930m . Ces dernières semaines d’alertes fortes pluies, on ne compte d’ailleurs plus le nombre d’avions des compagnies Air Madagascar et Corsair détournés vers Madagascar ou La Réunion pour raison d’intempéries à Dzaoudzi, alors que le fret destiné à Mayotte est reparti il y a une semaine vers Paris.
Cependant, de nouvelles normes européennes vont bousculer les inerties puisqu’elles obligent à un rallongement de la piste de 90 mètres à chaque extrémité. Elles seront obligatoires en 2018.
Mais la première euphorie passée, les problèmes n’ont pas tardé à surgir : l’étroite superficie de la zone qui borde la piste en Petite-Terre n’offre guère de choix. Il faut gagner ces 180 mètres soit sur la terre ce qui implique de détruire une mosquée pour la reconstruire ailleurs à l’identique ou d’exproprier des habitants, soit sur la mer, ce qui nécessite l’apport de tonnes de remblais, sans certitude quand au résultat.
Un joker nommé dugong
La première solution de reconstruction d’une mosquée peut poser problème pour un Etat laïque. Les religieux n’y seraient pas opposés, mais la perspective de pouvoir obtenir une piste plus longue en gagnant sur le lagon va sans doute jouer dans leur décision. Surtout qu’une sépulture se trouve sur les lieux. Quant au relogement des propriétaires des maisons environnantes, il peut prendre un certain temps, mais cela s’est déjà fait. Par contre, un spécialiste fait remarquer qu’un rallongement de la piste à terre serait sans effet si la colline demeure, « l’angle d’atterrissage en saison des pluies ne permet pas d’utiliser les 90 m supplémentaires ».
Le gain sur la mer offre une autre alternative : tant qu’à choisir cette solution coûteuse, autant adopter l’un des deux scénarios de rallongement de la piste proposé lors du débat public se sont dit les cerveaux qui se sont penchés sur la question, mais qui ne souhaitent pas être cités. Mais là encore, qui va financer un rallongement à 2.300m* ?
L’Europe n’y est pas favorable. On l’a vu avec la réaction du ministre Repentin qui répondait « environnement » à la question d’un journaliste sur ce sujet. «Pour la piste longue, on nous sort le dugong, trois coquillages rares et la préservation du milieu quand ça arrange !» s’énervait Dominique Marot, CAPAM**, en réaction au lâchage franco-européen de protection de la ressource marine.
L’Union européenne a fait savoir qu’elle pourrait financer l’étude (faisabilité, étude du terrain côtier et sous marin etc.) qui représente 10% de l’investissement final de 150 à 200 millions d’euros. Elle exige en contre partie que les travaux soient réalisés sur la période 2014-2020 du contrat de projet et des fonds structurels européens. La solution est donc entre les mains de l’Etat qui doit trouver des réponses aux obligations imposées par l’Europe. A moins qu’un privé ne s’y intéresse… mais avec quelle rentabilité ?
La solution de gagner sur la terre serait la moins coûteuse, mais pas forcément la moins compliquée, avec une colline à raser. «L’Europe nous impose une condition qu’on est incapable de remplir», déplorait un acteur du dossier. Pendant ce temps, à Saint-Denis de La Réunion, le projet d’extension de 180 m de la piste progresse, avec le renflouement et le déplacement du port qui la jouxte…
Anne Perzo-Lafond
* Auxquels il faut rajouter les deux fois 90m.
**CAPAM : Chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte
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