CARNET DE JUSTICE. Le dossier a déjà été jugé une première fois. Mais, dans les méandres des procédures, la défense a fait valoir l’absence du prévenu et de son avocat lors de l’audience et le tribunal réexamine donc l’affaire sur le fond : Karim* s’est-il vengé du départ de sa femme ?
Peu de temps après son mariage avec Dalila*, il n’a pu que constater que ce «mariage arrangé» ne convenait guère à son épouse. Elle est retournée avec Saïd*, l’homme avec lequel elle entretenait une liaison. Les choses auraient pu en rester là mais dans la nuit du 14 au 15 août 2011, les gendarmes sont appelés à intervenir dans le banga du couple à Vahibé. Il est deux heures du matin et la scène qu’ils découvrent est stupéfiante : Dalila est allongée sur le sol, enveloppée d’un linge maculé de sang, la main fracturée et le corps constellé de nombreuses plaies profondes. Saïd est sérieusement blessé au visage, aux tibias et aux mains desquelles de la chair a été arrachée.
Transportés aux urgences, elle reçoit un ITT (incapacité totale de travail) de 30 jours, lui un certificat mentionnant 5 jours d’ITT.
Que s’est-il donc passé ? Aux alentours de minuit, Saïd se lève alors qu’il entend des bruits de tôles : manifestement, quelqu’un essaie de rentrer dans son habitation. Le temps de comprendre que des individus ont pénétré chez lui, il reçoit un coup de bâton sur la tête. Dalila, frappée à son tour parvient à s’enfuir mais elle est rattrapée par un des deux assaillants et ramenée jusque dans la case. Bâton, chombo, c’est un déchaînement de violence.
Identifié, il nie… et pourtant
Immédiatement, un des deux hommes est formellement identifié par les victimes : Karim, le mari délaissé. Interpellé par les gendarmes, l’homme est placé en garde à vue. Il nie les faits qui lui sont reprochés, farouchement, avec constance. A la barre, à nouveau, il maintient sa version des faits: «C’est pas moi ! J’ai deux enfants à garder, une fille qui a un an et demi et un garçon qui a six ans. Je ne pouvais pas y aller, je n’ai personne pour garder les enfants.»
Il y a pourtant un élément troublant qui ne trouve pas d’explication, les communications téléphoniques de Karim. Le tribunal a récupéré les fadettes de ses portables, ces documents qui retracent à la fois les appels émis et reçus par ses téléphones mais aussi la localisation de ses déplacements grâce aux antennes relais des réseaux de mobiles. Ce soir-là, les portables de Karim sont restés à Sada, silencieux. Rien à signaler entre minuit et… 6h33.
A cette heure matinale, Karim passe un coup de fil qui va interloquer le tribunal. Il appelle la sœur de Dalila puis la voisine de son ex-femme pour leur dire qu’il n’a rien fait, qu’il ne l’a pas frappée et pour demander des nouvelles.
Hors à ce moment de la journée, personne à part le voisinage n’est encore au courant des événements de la nuit. «C’est ma belle-mère qui m’a prévenu», affirme-t-il. Pourtant, il n’existe aucune trace de cette conversation téléphonique.
Gare à l’erreur judiciaire
Il affirme également aux enquêteurs qu’il ne peut pas avoir participé car il a peur de Saïd. Mais l’amant est un homme frêle tandis que Karim a passé près de sept ans dans l’armée, commando parachutistes et légion étrangère.
Alors que la procureure réclame 16 mois de prison dont sept avec sursis, l’avocat de la défense demande la relaxe pure et simple. Il évoque les nombreuses zones d’ombres du dossier, aussi bien dans la procédure quand dans le manque de précisions sur le déroulement des faits. Maître Kamardine se réfère même à une affaire d’erreur judiciaire entrée dans l’histoire de la justice française, l’affaire Jean Calas. Les doutes doivent conduire le tribunal à trancher en faveur de son client.
Il y a peu de chance que le banga de Vahibé entre dans les livres d’Histoire comme la riche demeure toulousaine des Calas au XVIIIe siècle. Karim a finalement été relaxé et on ne saura donc probablement jamais qui est venu s’en prendre à Dalila et Saïd, cette nuit du mois d’août 2011.
RR
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*Les prénoms ont été changé