Elle semble toujours promise à un grand avenir, qui s’avère être toujours trop lointain : l’aquaculture mahoraise a ses raisons, que la raison n’ignore pas. Elles tournent autour de la stratégie de l’homme qui la racheta il y a deux ans.
En évoquant vaguement des « délais administratifs » qui auraient freiné l’année dernière le lancement d’un projet aquacole, l’IEDOM dans sa dernière note, en a dit trop ou pas assez.
Les exportations se sont montées à 63 tonnes sur les trois premiers trimestres 2013, en augmentation de 35%, apprend-on dans la même synthèse, puis ont chuté, grevant l’embellie.
Du côté de Longoni, Mayotte Aquaculture, a été rachetée dans un état moribond en 2011 à la famille Charvoz par Jean-Claude Pastorelli. Proche de Jacques Médecin, ancien maire de Nice, ville avec qui il a eu des démêlés financiers, il décide de se lancer dans l’aquaculture : « le chasseur a peu à peu laissé la place à l’éleveur, le cueilleur à l’agriculteur, seul est resté le pêcheur, mais aujourd’hui celui-ci devra laisser sa place à l’aquaculteur » aime-t-il répéter. Il rebaptise la société Aqua-Mater.
Il commence par vendre de petites quantités, pour grimper rapidement à 3 puis 4 tonnes par semaine. « Mais sans certitude quant à la viabilité de l’ombrine, nous n’avons pas voulu immédiatement investir dans les alevins » explique Yann Perrot, le directeur d’exploitation d’Aqua-Mater. Une fois commandées, ils ont été livrées en janvier 2013, et seront commercialisables environ 20 mois plus tard. Ce qui explique en partie l’absence de production du 4ème trimestre. En partie.
Contourner les frets de l’aérien
Car Jean-Claude Pastorelli nous l’avait dit lors de sa présentation du projet en 2012, l’activité sera rentable à partir d’un certain seuil, « le cap de survie se situe vers 2 000 tonnes par an ». Il vise même beaucoup plus. Le frein administratif que constituait l’autorisation d’accroitre la production semble en passe d’être levée. Celle de l’extension de l’AOT (Autorisation d’occupation du Territoire) pas encore.
D’autre part, Aquamay qui fournissait les alevins, ne suivant plus pour diverses raisons, il rêve de créer l’écloserie de l’océan Indien, qui s’appuierait sur l’Association de recherche de La Réunion, offrant en effet de belles synergies avec le département voisin.
La transformation du poisson qui lui assurerait des marges supplémentaires et créerait des emplois sur le territoire nécessite l’achat de gros matériel industriel. Quant aux exportations, Jean-Claude Pastorelli avait dénoncé les montants exorbitants des frets actuels dans l’aérien et les taxes d’aéroport de Charles de Gaulle. Il compte donc affréter un avion cargo qu’il fera atterrir en Italie, et le statut européen de Mayotte lui permettrait de facturer désormais à des clients étrangers. Ce qui n’était pas le cas lors de notre première rencontre.
Un projet à la hauteur de quels moyens ?
Des investissements conséquents donc, et pour lesquels il avait déjà annoncé la couleur : « des subventions à hauteur de 80% », les fonds européens prenant le relai. Du côté de l’Etat, les 5 millions demandés sont impossibles à trouver… et en dehors de ce montant point de salut pour le niçois qui passerait alors sous son seuil critique de production.
Autre problème évoqué par un proche du dossier : l’ombrine n’est pas endémique du lagon, et, élevée en quantité, pourrait conduire au syndrome de la perche du Nil, du nom de ce poisson introduit par les anglais dans un lac Victoria surexploité et où il a supplanté toutes les autres espèces. Yann Perrot de son côté, précise que la densité sera étendue au fur et à mesure de l’accroissement de la production, « pour éviter justement toute pollution, et préserver la qualité du poisson ».
Mais le Schéma Régional de Développement de l’Aquaculture est têtu et a mis son grain de sel en indiquant une production plafond de sécurité de 1 000 tonnes par an.
L’homme est perçu comme un visionnaire par certains, alors qu’il s’est fâcheusement fermé les portes de quelques administrations. Une chose est sûre, avec l’arrivée des fonds européens, Mayotte a plus que jamais besoin de porteurs de projets qui tiennent la route.
Anne Perzo-Lafond