La mairie de Chirongui abritait une conférence sur la laïcité ce samedi matin. Un mot censé protéger tout le monde de l’immixtion de la religion, mais qui laisse la société démunie «face à l’argent roi». Les musulman(e)s de Mayotte en débattent.
Pour fêter le mois de Rajab, un des quatre mois sacrés selon le Coran, Roukia Lahadji, la maire Chirongui a pris l’habitude d’organiser une conférence. Portant sur la laïcité, elle réunissait ce samedi matin à l’invitation de l’association Moultaqalour, les Cadis de Mayotte, le Conseil représentatif des musulmans de Mayotte et des dignitaires religieux de la région, kényans, comoriens ou réunionnais.
Avec un invité de marque, l’eurodéputé Younous Omarjee, actuellement en campagne à Mayotte, mais qui a enrichi le débat de son expérience.
Le constat est simple pour Roukia Lahadji : la départementalisation laisse de moins en moins de place à l’expression du culte musulman ce qui nuit gravement à la richesse de la culture et des individus. «La réforme des rythmes scolaires permet des plages horaires d’activités culturelles. Nous pouvons en proposer plusieurs, qui sont plus ou moins liées à la religion : nous n’allons bien sûr pas apprendre aux enfants les ablutions ou les prières, mais comment on fait les debah, le chigoma ou le maoulida chengue*». Elle aurait pu aussi rappeler qu’une tolérance existe malgré tout en France par le biais du Concordat alsacien.
En éloignant ces repères, elle rappelle qu’«on a perdu des gamins» qui, sans structures, «n’évoluent plus dans l’échelle sociale».
Des actions fanatiques récentes
La peur de la religion prend souvent naissance dans la méconnaissance, «quand on dit musulman on entend extrémiste en métropole», constate-t-elle, «or les actions de fanatiques sont récentes, depuis les années 2000 et ne représentent pas notre religion. Nous mettons des jupettes tout en étant musulmanes!»
Un discours que n’a fait qu’acquiescer El Mamouni Mohamed Nassur, Chargé de mission du Conseil général sur l’avenir des cadis dans le département : «l’objectif de cette conférence est d’échanger pour décrisper la société mahoraise et rassurer la société française. Nous savons ici cohabiter avec tous les peuples, toutes les religions, c’est ce qui fait la beauté de Mayotte».
Pour Younous Omarjee, la mondialisation s’accompagne de l’occidentalisation du monde, «une idée de bonheur qui se répand
à travers la planète, des sociétés millénaires qui se soumettent à l’argent roi». Et le seul refuge pour ne pas perdre l’essentiel, «la foi. C’est ce qui fait peur car en occident, l’horizontalité se répand, qui détruit la verticalité des êtres. C’est devenu difficile en Europe pour les catholiques d’exprimer leur foi, comme pour les musulmans avec la montée de l’islamophobie».
« La conquête des esprits a remplacé celle des frontières »
Ce n’est pas la société de consommation qui est critiquée, mais la perte des repères : «ainsi les Etats ne sont plus en guerre pour des frontières, mais pour la conquêtes des esprits», complète le député.
Celui qui a créé le manifeste sur l’Europe plurielle avec le footballeur Lilian Thuram rappelle qu’à La Réunion, «on nous avait fait comprendre que ce qui venait du colonisateur était supérieur aux reste. Les familles ont donc laissé leur culte et leur culture». Mais l’effet pernicieux se lit selon lui dans l’œuvre d’Aimé Césaire, «c’est la montée des mouvements autonomistes. Notre jeunesse mahoraise désabusée risque de se tourner vers des discours identitaires qui monteront à mesure que se révèleront les impasses de la départementalisation».
Et c’est un discours humaniste approuvé par tous les participants qui conclura son intervention : «la montée du Front national s’explique par la peur des Français autochtones de ne pouvoir vivre sereinement leur culture menacée par les étrangers. C’est une interrogation légitime puisque nous dénonçons la même crainte de perte de nos cultures locales».
Le risque à Mayotte a été évoqué, «en métropole, c’est celui de l’appauvrissement par l’uniformité européenne qui menace, comme le modèle facile hamburger-coca américain qui guette».
Un dignitaire religieux faisait part de ses commentaires : «nous sommes un milliard et demi de musulmans dans le monde. Si c’était une religion de la terreur, tout le monde serait déjà mort!»
Alors qu’El Mamouni appelait à résister de façon intelligente, «dans le respect de la loi».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Danses religieuses
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