Les difficultés pour mettre en place l’assainissement à Mayotte ont conduit le Sieam à se pencher sur les raisons sociologiques en commandant une thèse à la chercheuse Aude Sturma. Le constat est généralisable à tous les secteurs du territoire.
Elargir les problématiques du traitement des eaux usées à Mayotte pour en tirer des conclusions plus générales, c’est la posture qu’a choisie Aude Sturma dans sa thèse sur « les défis de l’assainissement à Mayotte : dynamiques de changement social et effet pervers de l’action publique », soutenue en novembre 2013 à l’Université de Toulouse-Jean Jaurès.
Car l’assainissement à Mayotte, « ce que devient l’eau lorsque vous tirez la chasse des WC », a-t-on l’habitude d’expliquer aux enfants dans les classes, est mal perçu. « Les habitants ont l’habitude de vivre avec les eaux grises, issues des lessives et vaisselles, qui ne sont pas considérées comme très sales ce qui explique leur déversement insouciant dans la nature même lorsque la maison est raccordée à un réseau des eaux usées ».
Par contre, les eaux, « noires », sont tues, « et la station d’épuration a une image très négative de ce fait ». Un syndrome NIMBY, « Not In My Back Yards », « d’accord mais pas chez moi », qui évacue la question…
Et pourtant, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les maladies diarrhéiques ont tué plus d’enfants durant les dix dernières années que les conflits armés depuis 1945 et, chaque jour, 5000 enfants en sont les victimes». « C’est d’ailleurs le risque de pandémie de choléra aux portes de Mayotte qui avait incité à investir dans les bornes fontaines en 2002 », rappelle Aude Sturma.
Vulnérabilité de la population
Mais les habitants sont toujours réticents à se raccorder au réseau d’eaux usées. C’est pour tenter d’en comprendre les raisons que le Sieam et le CNRS ont financé à hauteur de 93 000 euros cette étude sociologique menée sur trois ans, après avoir questionné, traducteurs à l’appui, 993 foyers (échantillon comparable à l’INSEE) qui étaient sondés par 70 questions, « des questions fermées, qui écartent toute erreur de traduction ».
Trois constatations principales se dégagent. Ce qui marque, c’est en premier la vulnérabilité sociale de la population, « une facture d’eau par exemple devient intolérable quand elle dépasse 3 à 5% du budget du ménage ». Or, on en est à 17% sur le territoire alors qu’on n’a pas encore appliqué le montant lié à l’assainissement…
Un problème financier qui touche pêle-mêle mahorais ou « étrangers », contrairement à une idée répandue chez les élus qui rechignent à mettre en place une politique d’assistance. Un Fonds de solidarité est pourtant indispensable si on veut emporter cette adhésion. « Ainsi qu’une subvention de raccordement comme ce fut le cas en métropole ».
Le clientélisme tue l’implication
Mais en appliquant un tarif par tranche, les institutions risquent de casser le modèle traditionnel d’entraide : « pour l’eau potable, le tarif des tranches augmente avec le volume consommé. Or, plusieurs foyers sont sur un même compteur, donc un fort volume au tarif le plus cher, alors que ce sont les plus démunis. Il faudrait changer ce concept de tranche ».
Un autre frein concerne les politiques et la conception du pouvoir local, « ce que le linguiste Mlaili Condro nomme ‘wassina wassi », le clientélisme ». Le peu d’implication des élus, « souvent à cause de la trop forte technicité des dossiers », pose le problème du portage de projets.
De plus, à l’heure de libérer du foncier pour les Stations d’épuration, les mêmes élus restent sous le joug familial, souvent pas manque de conviction de persuasion.
A cette adaptation des politiques, doit se joindre une communication permanente : « or, nous sommes en déficit d’explications notamment sur le prix de l’eau ».
Un écrit qui a servi de base à l’étude d’adaptabilité de l’assainissement dans l’ensemble des DOM. Il sera présenté le 7 juillet au Conseil général, à l’ARS, à la DEAL et au Parc Naturel Marin.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte