Appliquer les lois qui viennent tout droit de la République sur un territoire aux multiples spécificités n’est pas chose facile et il y a une incompréhension entre les Mahorais et les institutions françaises. Officialiser le rôle des cadis pourrait aider.
Alors que se déroulent les ateliers qui vont écrire ce que sera Mayotte 2025, le député Ibrahim Aboubacar, qui vient de boucler le sien par l’élaboration d’un calendrier de rattrapage, avait invité le professeur de français et chercheur en anthropologie Mlaili Condro à se pencher sur le big bang original du rattachement de Mayotte à la France : la compatibilité de Mayotte avec le droit commun que le chercheur traduisait en question, « les institutions auxquelles nous nous référons sont-elles justes ?
« Permettent-elles un bien être aux individus ? », se demandait Mlaili Condro. Mais en prenant le problème sous cet angle, il traduisait déjà un changement d’unité de mesure : veut-on évaluer le niveau de développement économique ou la recherche du bien être, du « vivre ensemble ».
Le chercheur partait alors de l’approche de l’économiste indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, qui a développé l’Indice de Développement Humain. « Il a pour mérite de partir des préoccupations de la population pour vérifier l’opportunité des institutions ».
Un « oui » librement consenti ?
Pour le chercheur, il n’est pas question de parler de spécificités mahoraises si on n’en fait rien, « mais parler du droit commun par rapport aux femmes sans regarder ce qui dit l’islam dans ce domaine serait une erreur ».
Les Mahorais manifestent parfois un rejet de l’approche institutionnelle « dont ils ne voient pas clairement le bénéfice, en terme de frein à l’immigration notamment, mais pour s’exprimer, ils utilisent malgré tout ces institutions. Et la réponse de l’Etat est invariablement, « vous avez répondu ‘oui’ au référendum » », ce que Mlaili Condro traduit par « une adhésion à la fiction du contrat social », à la mode de Rousseau… « Alors qu’il vaut mieux comprendre le droit avant même de l’appliquer, les Mahorais ne comprennent toujours pas ces institutions ».
Finalement, l’extension du droit commun aurait eu besoin d’une « traduction », que la population n’a pas eu faute d’élus formés : « le traducteur doit être biculturel, connaître les différents modes de fonctionnement, avoir un discours construit. »
Première étude d’impact pour les Outre-Mer
Le député Ibrahim Aboubacar apportait sa caution à cette analyse : « lors du Pacte pour la départementalisation, l’Etat a mené ses travaux de son côté, nous du nôtre, et il n’y a eu aucune étude d’impact de la loi sur la départementalisation en 2011. » Un constat que partagent les conclusions du premier rapport de la Commission nationale d’impact des politiques publiques de l’Etat en Outre-mer, dont Ibrahim Aboubacar fut le rapporteur, et qui a été remis la semaine dernière.
En tant que député, il ne pouvait que nuancer la démonstration de Mlaili Condro, « il faut différencier les défauts propres à Mayotte et ceux liés aux institutions ». Et en donne une réponse magistrale en se basant sur la Constitution : « il y est dit que les collectivités peuvent proposer des habilitations. J’en demande donc une pour mettre en place une administration cadiale, dans la limite où ça ne gêne pas le droit commun ».
Magistrat musulman remplissant les fonctions civiles, judiciaire et religieuses, les cadis ont été remplacé, notamment, par les institutions judiciaires en quelques années. Les Mahorais se sont appropriés ces nouveaux outils qui leur proposaient de régler leurs litiges, souvent avec des avantages financiers, mais sans les comprendre, et en renforçant l’individualisme, là où le cadi proposait des solutions concertées.
Alors que la Martinique et la Guadeloupe ont utilisé ces habilitations pour les transports et le logement, implanter une administration cadiale au sein d’une collectivité française serait une grande première, et sans doute la preuve que le pays sait regarder la culture ultramarine sans œillère.
La proposition a été faite la semaine dernière par Ibrahim Aboubacar à la Préfecture et au Conseil général.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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