Sous la double responsabilité du Conseil général et de la préfecture, Mayotte va mettre en place une politique sociale du logement. Tout est à inventer et tous les a priori sont à dépasser.
A Mayotte, parler de «logement social», c’est quasiment prononcer un gros mot. «Le mal logement a tendance à toucher de plus en plus les natifs de Mayotte», prévenait David Courtin, le directeur de la DEAL* pour évacuer la question «de l’immigration». Car l’idée reçue, rappelait Mahamoud Aziary le directeur de la SIM, veut que «le logement social, c’est dangereux car c’est fait pour attirer les étrangers»… ce que l’expérience de la SIM infirme totalement, elle qui a souvent du mal à placer ses logements sociaux.
En la matière, il va donc falloir dépasser les clichés et inventer un modèle car notre département entre dans le droit commun sur ce sujet-là aussi.
Ce vendredi, dans l’hémicycle du conseil général (CG), la DEAL et la collectivité mettait en place le «Plan d’action pour le logement des personnes défavorisées» (PALPD).
Il s’agit d’une instance qui permet de travailler sur les besoins en matière de logements, sur la capacité des habitants à disposer de moyens suffisants pour se loger… bref, de définir une véritable stratégie sur le logement social.
Ce plan est piloté par un comité responsable de 22 membres : on y trouve tous ceux qui peuvent définir une véritable stratégie en matière de logement social dans notre département : élus, bailleurs publics et privés, CAF, associations concernées par la question du logement, partenaires financiers (banques), services de l’Etat, SIEAM (eau), EDM (électricité) et France télécom…
Le mal-logement, c’est quoi ?
Premier problème : caractériser le mal-logement à Mayotte n’est pas si simple qu’il y paraît. Car le parc de logements du département ne peut être appréhendé que selon une grille de lecture métropolitaine, pas toujours pertinente.
La DEAL estime ainsi que les 50.000 logements de Mayotte sont de «qualité générale assez mauvaise». Il y manque des éléments de confort dans 2 logements sur 3 contre 1,5% en métropole. On compterait 19.000 cases précaires dont 5.000 qui relèvent de zones à risque en matière de santé ou de salubrité.
S’il n’est pas question de nier la réalité, Saïd Omar Oili, le président de l’association des maires, mettait en garde sur des conclusions trop hâtives : «Quand vous parlez de maisons inachevées, pour nous, ce sont des maisons évolutives qui vont avancer avec la taille de la famille pour garantir un toit à nos filles.»
Regard dévalorisé sur la location
Autre question que pose la notion de «logement social» à Mayotte faut-il faire du locatif ou de l’accession sociale à la propriété ? «Louer une maison, quand on est natif de ce pays, c’est qu’on a raté quelque chose socialement. Ne faudrait-il pas mieux accompagner les gens pour qu’ils soient propriétaires ? » se demande Saïd Omar Oili.
«On ne peut pas rester avec cette mentalité complétement dépassée, estime pour sa part Jacques Martial Henry, vice-président du CG. « C’est à nous d’aller expliquer comme on l’a fait pour le RSA.»
Pourtant S2O insiste : «La politique du logement est-elle un succès dans les autres DOM et en métropole ? Non ! Est-ce que nous allons appliquer ici ce qui n’a donné que des impasses ailleurs ?»
Adapter le modèle
Un avis largement partagé par Mahamoud Aziary. «En France, la loi impose 25% de logement sociaux en zone urbaine alors qu’en Allemagne, ce taux est de 6% et les gens ne peuvent rester qu’un temps limité dans ces logements. En Grèce et en Espagne, le locatif est presque inexistant mais on a privilégié l’accession à la propriété… Nous devons adapter le modèle Français à notre réalité.»
«On part de tellement loin, qu’on ne prend pas trop de risque à développer un parc de logement social», nuançait David Courtin de la DEAL, alors qu’on ne compte à Mayotte que… 106 logements sociaux locatifs livrés ! «Il faudrait construire 4.000 logements sociaux par an sur Mamoudzou et Koungou !» relève-t-il.
Problèmes pour les communes
Au-delà des questions sociales, lancer une politique de construction doit être imaginé avec les communes, insiste Saïd Omar Oili : «Pour faire de l’habitat, il faut d’abord faire de l’aménagement. On demande de l’argent pour construire mais on oublie qu’il faut d’abord faire tous les réseaux.» Une remarque complétée par Mahamoud Aziary : «Faire du social, c’est penser aussi aux équipements. Aux Hauts-Vallons, il n’y a que des écoles privées. Mettre des familles défavorisées, sans moyen de transport et sans école publique à proximité, ça revient à les faire partir très rapidement.»
A la lumière de ces échanges, on comprend que l’enjeu du logement en général et du logement social en particulier est très important à Mayotte. A tel point que Saïd Omar Oili s’interrogeait sur l’opportunité de faire entrer la question dans le Pacte Mayotte 2025. Nul doute, qu’elle va effectivement s’y intégrer.
RR
Le Journal de Mayotte