CARNET DE JUSTICE DU JDM. A la barre, Kamal* reconnaît être sans-papiers, il habite pourtant à Mayotte depuis 23 ans. Il est encore dans la clandestinité mais il a effectué les démarches pour régulariser sa situation. Il doit répondre de violences particulièrement graves pour avoir décidé de faire justice lui-même à son petit frère plutôt que de prévenir les forces de l’ordre.
Le 24 novembre 2013, son frangin, âgé de 14 ans, vient le voir le bras ensanglanté. Il vient de prendre un coup de couteau. Un individu voulait racketter ses bracelets et l’extorsion a mal tourné. Kamal réagit au quart de tour, il va venger son petit frère. Il prend une chaîne et une lame de rasoir et part retrouver l’agresseur qu’il identifie très rapidement. Il se jette sur lui, lui passe la chaîne autour du cou et l’étrangle. Impossible de l’arrêter, ça sera œil pour œil, dent pour dent. A son tour, il entreprend alors de lui entailler le bras.
Une affaire moyenâgeuse
Il a arraché des mains de l’agresseur le cutter qui a servi à blesser son frère. Mais la lame ne coupe plus. Il va alors la casser pour être sûr de pouvoir la faire pénétrer dans le bras du malheureux. Kamal est enfin rassasié et satisfait. La justice populaire est rendue.
L’agresseur devenu victime se voit délivré un certificat d’ITT de 21 jours, les blessures sont sérieuses… mais en 2014, dans notre département, la justice populaire n’est pas la justice.
«C’est une affaire du moyen-âge, quand la justice était privée, quand chacun réglait ses comptes comme il l’entendait», s’emporte la procureure Prampart. «Quand on est à Mayotte, territoire de la République française, on va porter plainte et la justice est rendue au nom du peuple français.»
Elle réclame 9 mois de prison avec sursis, une sentence pour le punir et pour lui passer l’envie de recommencer.
Depuis, Kamal a été interpellé et faute de papier il a été expulsé… avant de revenir, toujours dans la plus grande clandestinité.
Face à la cour, il fait preuve d’honnêteté. Il reconnaît ces violences mais il ne veut pas qu’elles l’empêchent d’avoir ses papiers. Cela fait 23 ans qu’il les attend. Il est d’ailleurs très bien inséré dans la société mahoraise. Il travaille quasiment tout le temps, évidemment au noir faute de titre de séjour, mais il gagne plutôt bien sa vie. Maçon et plombier, il a des revenus compris entre 500 et 2.000 euros qu’il ne cherche pas à dissimuler au tribunal.
Ses démarches de régularisations devraient aboutir dans les semaines qui viennent et il sait, désormais, qu’il doit se tenir à carreau. Le tribunal est allé au-delà des réquisitions de la procureure en le condamnant à 1 an d’emprisonnement avec sursis. Au prochain faux pas, les portes de Majicavo pourraient se refermer derrière lui.
RR
Le Journal de Mayotte
*Le prénom a été changé