Son départ est imminent : vendredi, la sous-préfète en charge de la Cohésion sociale et de la Jeunesse s’envole pour de nouvelles missions. Elle aura occupé pendant deux ans un poste clef dans un département où la moitié de la population a moins de 18 ans, et où les mineurs en errance sont une priorité. « Une mission où je me suis régalée », dit-elle tout sourire, avant de donner quelques indices sur sa future destination…
JDM : Les priorités sont-elles les mêmes quand on quitte Mayotte qu’à l’arrivée le 18 décembre 2012 ?
Sylvie Especier : Non, puisque je n’en avais aucune. Ne connaissant pas l’Outre-mer, bien que m’étant renseignée sur Mayotte, j’avais des yeux neufs, sans apriori. Les missions nous sont données par les préfets successifs, mais à travers les trois préfets, Thomas Degos, Jacques Witkowski et Seymour Morsy, j’ai eu toute latitude pour initier des projets.
Je suis très heureuse de ce séjour, c’est un très beau challenge professionnel. J’y ai fait de belles rencontres humaines.
Quels sont les dossiers que vous transmettez à votre successeur sur la cohésion sociale d’un côté, et sur la jeunesse ?
S.E. : Pour l’instant, il n’est pas nommé, et c’est Bruno André, le Secrétaire général de la Préfecture qui assure l’intérim.
Il est difficile de scinder cohésion sociale et jeunesse, tant les domaines sont imbriqués. C’est pourquoi le dossier prioritaire pour les jeunes porte sur les constructions scolaires, c’est le pari de l’avenir. Avoir des infrastructures suffisantes, c’est un premier pas vers l’élévation du niveau de nos élèves. J’ai tellement vu d’écoles se fermer en métropole lorsque je travaillais dans l’éducation nationale que je suis fière d’en ouvrir ici.
Avec quel outil puisque le SMIAM a été dissout ?
S.E : En effet, nous n’avions pas la garantie qu’un nouveau management aurait permis de faire mieux. Nous mettons donc actuellement en place une Cellule d’appui qui dépend de la DEAL avec des professionnels compétents. Ils accompagneront les élus des communes pour monter les dossiers jusqu’à la remise des clefs : ça les responsabilise, ce seront leurs écoles, ils devraient en prendre soin.
Le choix de la structure, modulaire ou pas, sera donné par la réponse aux appels d’offre qui définiront les coûts et le délai de livraison. Il faut ensuite se concentrer sur la restauration scolaire.
L’autre priorité est la lutte contre l’illettrisme.
Cela fait quatre ans que c’est une priorité et les écoles de parents ont fermé…
S.E : Le Plan 2010-2015 est un inventaire à la Prévert qui ne sert à rien. Il faut le réécrire et aboutir sur la création d’une plate forme où seraient présents le Conseil général, les organismes de formation professionnelle, les formateurs de formateurs, pour ne citer qu’eux. Elle doit bien sûr intégrer l’alphabétisation des parents car, comment suivre la scolarité de ses enfants quand on ne parle pas la langue ?!
« Je fais le rêve que Mayotte se prenne en main »
Pour une meilleure compréhension chez les petits doit-on passer par l’enseignement dans les deux langues, shimaoré et français ?
S.E : Toutes les études montrent qu’une bonne maîtrise de la langue d’origine induit une meilleure compréhension des autres. Mais avant de l’appliquer à Mayotte, il faut pousser la réflexion et mener des études.
Le quatrième point dont je suis fière, est l’aboutissement du Plan des médiateurs de proximité. 191 sont déjà recrutés par une association qui dépend de l’OIDF. Ils seront déployés dans les communes après leur formation de 200 heures pour y mener des médiations dans les quartiers ou les sécurisations des abords d’établissements scolaires.
Je souhaiterais dire un mot sur la restructuration de la politique de la ville que j’ai menée. L’équipe de coordonnateurs a été changée et de nouveaux interlocuteurs nommés dans les communes, car elles doivent être impliquées.
Enfin, le projet marraine en action d’encadrement de jeunes femmes par des chefs d’entreprises, qui me tenait à cœur a abouti, et nous avons décliné la lutte contre les violences faites aux femmes sur une semaine et non une seule journée comme partout ailleurs. La parole doit prendre le temps de se libérer.
Le Conseil général s’est approprié récemment la problématique des jeunes en errance. Y a-t-il eu depuis un travail conjoint avec la préfecture ?
S.E (sourire) : Je resterai positive en rêvant que Mayotte prenne son destin en main, avec une implication de toutes ses forces vives. Les jeunes doivent avoir de l’ambition, et sur ce plan il faut davantage accompagner les jeunes filles, il faut aussi des formateurs… il y a beaucoup de nœuds dans la pelote, c’est ce qui rend Mayotte compliquée. Tant qu’il n’y aura pas cette énergie des acteurs, même en doublant les apports financiers pour l’île, je ne sais pas si tout tournerait mieux. Il y a souvent un manque de réactivité.
Il faut que les mentalités évoluent, mais aussi, que certaines forces vives qui sont formidables, soient mises en avant.
Une conclusion ?…
S.E : Mayotte est un territoire où les attentes sont fortes car il y a beaucoup de besoins. Il faut à la fois de l’argent et des compétences. Je retiendrai de cette île un accueil formidable.
Sylvie Especier reste sur le souvenir du maire d’Hamjago qui l’a félicité pour l’inauguration d’une maison des services administratifs, « sans vous, on n’y serait jamais arrivé ! ». Pendant l’interview, de nombreuses sollicitations, « on doit pouvoir le mettre en place d’ici deux jours », répond-elle à un interlocuteur, pas du genre à se la couler douce à 3 jours du départ.
Elle s’envole pour Paris, sur un poste qu’elle révèlera vendredi lors de la réception organisée pour son départ, mais d’où elle continuera à veiller sur Mayotte…
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte