« Enfant des îles de la lune, Enfant de l’archipel au soleil levant, Prends les mots de la mère de ta mère, Monte dans le boutre du père de ton père, Et traverse les océans du Temps »… Il manque un barreur au Boutre de la parole maintenant, le monde littéraire régional, et même national, est en deuil.
Il avait doucement amené son public dans un pays de rêve ce soir de juin 2011 à Mtsapéré : un boutre plantait le décor, et Salim Hatubou, accompagné des musiciens Maalesh, Triongazi et Diho emmenait de sa voix chantante les spectateurs sur les rivages des îles de la Lune. Ce spectacle « Le boutre de la parole » avait été labélisé « 2011, année des Outre-mer ».
Au delà du conteur, c’est l’auteur de prés d’une trentaine d’ouvrages, et l’homme toujours rayonnant qu’était Salim Hatubou, que pleure aujourd’hui le monde littéraire régional. La Bouquinerie de Passamainty, l’association Musique à Mayotte qui avait initié l’idée du spectacle du Boutre, AriArt ou Hamada Smit avec lesquels il était en train de monter des projets…
Son infarctus aura fauché à 42 ans un acteur infatigable du travail de l’histoire de son île, Ngazidja (Grande Comore), mais aussi de la compréhension du lien franco-comorien… « C’est insupportable », confient ses proches à Mayotte.
Le ministre de l’Education nationale d’Union des Comores exprime, dans un communiqué, ses vives condoléances à la famille du défunt et à toute la communauté littéraire et culturelle comorienne « pour avoir perdu cet illustre poète, qui fut l’un des promoteurs de la littérature comorienne d’expression française », rapporte le journal Al Watwan du jour.
« Quand un sultan parle, tu es sultan »
Cette chaleur qui émanait de ses contes lui venait tout droit de sa grand-mère, comme il l’évoque dans un très bel article que l’hebdomadaire Jeune Afrique lui consacrait en 2010 : « On ne faisait pas qu’écouter, elle nous demandait de raconter. Le lendemain, tout en vaquant à ses occupations, elle me donnait des conseils?: “Hier soir, ton diable dans l’histoire, je ne l’ai pas senti?! Quand un sultan parle, tu es sultan, quand un chat parle tu es un chat…” En arrivant à Marseille, j’ai eu la nostalgie de ses contes et j’ai commencé à les noter dans un cahier. »
Car le petit Salim débarque à 11 ans dans la cité phocéenne avec son lot de déceptions : la femme de son père qui lui inspirera le titre d’un roman, « Marâtre » en 2003, et la sensation d’être un étranger, « on était synonyme de chômage, de prison ». Il crée par la suite à Marseille des ateliers d’écriture pour les élèves primo-arrivants.
Des ateliers que ce conteur, écrivain et acteur culturel, adapte dans les trois îles d’Union des Comores, à Mayotte, à La Réunion, à Marseille… toujours à bord du boutre.
Quelque soit la forme que revêt son engagement, du conte à la critique ouverte, il s’attaque aussi bien aux travers de son pays de naissance en dénonçant les mariages arrangés aux Comores, que la perte de la culture commune à Mayotte passée sous giron français, ou l’échec de la politique d’intégration en France, et à Marseille en particulier, dont il sait quelque chose en ayant vécu dans les quartiers nord, et qu’il traduit dans « l’Odeur du béton » (L’Harmattan, 1998).
Ses équipiers comme les passagers du boutre sont orphelins aujourd’hui… en attendant que sa parole soit reprise et racontée à l’infinie.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte