Le président Soibahadine Ibrahim Ramadani, un ex-étudiant contestataire

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PORTRAIT DU MERCREDI. Qui est cet homme discret qui vient de prendre les manettes du département ? Soibahadine Ibrahim Ramadani est né le 5 mars 1949 à Chiconi. Son papa travaille à la direction agricole de Coconi en tant qu’ingénieur de travaux agricoles, et sa maman, comme presque toutes les mères de Mayotte à cette époque, cultivatrice pour nourrir les 8 garçons et 6 filles de la famille.

Sous le portrait de Zéna M'déré
Sous le portrait de Zéna M’Déré

Il fait sa primaire en deux temps, à l’école de Sada tout d’abord où ses instituteurs s’appellent Ahmed Soubra (père de Sarah Mouhoussoune) et Younoussa Bamana qui vient d’être muté d’Anjouan. Anticipant sur un collège qui se fait habituellement à Moroni avec une sélection sévère, son père l’inscrit pour le reste de sa scolarité à Tananarive, aux collège et lycée Gallieni, prisés également des Réunionnais.

Il obtient son bac A4 en 1971, l’année de la révolution malgache et de son propre aveu, de la «malgachisation de l’enseignement» par le président Ratsirak.

C’est à Bordeaux qu’il choisit de s’inscrire en philo, matière où il se sent à l’aise pour son goût des débats d’idées. Belle ville, mais difficile. Heureusement pour s’intégrer il peut compter sur un aîné qu’il considère comme son grand frère. Soibahadine Ibrahim obtient sa licence au moment où les bourses sont menacées par le ministre de l’Enseignement des Comores pour les étudiants qui poursuivraient des études de philo, « suspectées de fabriquer des révolutionnaires » et maigres en débouchés sur son territoire de naissance financeur.

Il poursuit en Sciences de l’Education, alors que Mayotte quitte le giron comorien en 1974. Pendant deux ans, sans bourse et tout en passant sa maîtrise, il va travailler comme responsable de la bibliothèque de sa fac, puis comme gardien de nuit pour des entreprises, fait la plonge le week-end et travaille la semaine de 20h à 2h du matin dans une entreprise de mise en bocaux de piperade… Rare d’entendre parler à Mayotte de ce plat basque à base de poivrons.

Il rentre à Mayotte après avoir soutenu sa thèse, « En quel sens faut-il transformer l’éducation aux Comores ? », en mai 1980, le 8 exactement, car Soibahadine Ibrahim a une mémoire des dates phénoménale, de toutes les dates.

Le JDM : Bardé de diplômes, vous avez travaillé immédiatement à Mayotte ? 

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Je suis au contraire resté un an au chômage. J’avais milité au syndicat étudiant UNEF et à l’Association des étudiants et stagiaires originaires des Comores à Bordeaux. Nous étions contestataires et extrêmement critiques, autant contre le gouvernement des Comores, que sur la séparation de Mayotte des autres îles. Ce qui ne plaisait ni aux élus du Mouvement Populaire Mahorais (pro départementaliste, ndlr, futur MDM), ni à l’administration coloniale de l’époque. Pourtant, le Conseil général était présidé par Younoussa Bamana.

Je suis finalement recruté comme responsable de l’Education pour la Santé et l’alphabétisation des adultes à la DASS, maintenant ARS, le 1er juillet 1981, dans le cadre de l’APROSASOMA.
J’entre ensuite à la direction de l’enseignement, l’équivalent du CUFR, comme enseignant de psychopédagogie, puis comme directeur. J’ai mis en place un plan de formation des cadres mahorais qui deviendront les premiers conseillers pédagogiques. Parmi eux, Ahamed Attoumani Douchina.
Devenu conseiller technique du vice-recteur pour les affaires culturelles, je suis mis à disposition en 2004 en devenant sénateur. »

Comment le militant à l’UNEF a-t-il choisi d’être un élu RPR ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani, pensif le jour de son élection, sous le regard de Younoussa Bamana
Soibahadine Ibrahim Ramadani, pensif le jour de son élection, sous le regard de Younoussa Bamana

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Il n’y avait pas de gauche en 1985 sur l’île. La seule opposition au MPM, c’était le RPR. Pour situer le débat, j’étais assimilé aux prises de position de mon père militant au Parti pour le Rassemblement démocratique de Mayotte, des « serré-la-main » (favorables au rattachement de Mayotte aux Comores) qui s’opposaient aux « sorodas », pro-français du MPM. »

Vous étiez sénateur en même temps que le MPM Adrien Giraud…

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Oui, et nous avons toujours travaillé en bonne intelligence. C’est la première fois que Mayotte avait deux sénateurs »

Qu’elles sont les actions à mettre à votre crédit de sénateur ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Le déplafonnement de la Caisse d’allocations familiales, l’intervention de l’ANRU pour le projet de réaménagement de Mgombani, la contribution à la demande de Saïd Omar Oili alors président du Conseil général, au remboursement par l’Etat de sa dette de 63 millions d’euros envers le Conseil général sur la construction du second quai de Longoni. C’est sa quote-part au contrat de projet Etat-région, dont le remboursement a été opéré dans le cadre de la Lodeom, à la suite de ma question écrite au gouvernement.
L’amendement sur le haut-débit, des moyens supplémentaires alloués à la lutte contre l’immigration clandestine en hommes et sur le plan juridique, demande relayée à l’Assemblée nationale par Mansour Kamardine.
Ma réserve parlementaire est partie vers des communes de droite comme de gauche, avec l’extension de la mairie de Bandrélé, le plateau polyvalent à Chiconi, la voie d’accès à la mairie de Bandraboua, la place des congrès à Pamandzi, soit 500.000 euros au total. »

Vous avez également présidé le SMIAM, Syndicat mixte d’investissement et d’aménagement de Mayotte. Comment a-t-il sombré ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : «  Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai fait construire 400 salles de classe de 2001 à 2008, et de nombreux terrains de foot, pour 55 millions d’euros, grâce à une programmation pluriannuelle que j’ai mise en place, et que j’avais laissé un programme prévisionnel 2008-2014 pour l’équipe suivante. »Conseil général Cabinet drapeaux

Comment envisagez-vous votre mandat de président ? Inquiet ou serein ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Serein. Mais nous avons une préoccupation, avoir des recettes pérennes. 2013 fut une année exceptionnelle, mais à partir de 2014 la structure financière du Conseil général est devenue déficitaire, seul l’excédent de 2013 assurait l’équilibre, avec 28 millions d’euros. Le Budget prévisionnel de 2015 avance 15 millions d’euros. Nous devons donc maîtriser les dépenses, notamment la masse salariale, ce qui n’est jamais facile, mais en jouant sans doute sur les postes à contrat que nous ne renouvellerons peut-être pas.
On peut aussi agir sur les petites dépenses, je vois parfois la clim tourner ou les lumières allumées dans des bureaux inoccupés…
Du côté des recettes, la clef de répartition de l’Octroi de mer pour l’instant favorable au département peut basculer en faveur des communes. Pour y voir clair, nous devons sortir de cette période de fiscalité locale de transition.
Je suis donc à la fois serein car nous avons sur la période 2014-2020 un contrat de développement avec le contrat de projet Etat région et les fonds européens, mais inquiet aussi car le conseil départemental doit apporter 150 à 200 millions d’euros.
Je dois rencontrer le préfet le 7 mai. »

Comment choisissez-vous vos collaborateurs ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Selon trois critères : la confiance, une certaine expertise dans son domaine de compétence, et la territorialité… ils ne seront pas tous natifs de Chiconi ! J’ai conscience que cette majorité de 16 devra le rester et sera soumise à l’épreuve du temps »

Trois petites questions annexes. Avez-vous un mentor, un guide ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « A la fois mon père, dont j’étais très proche, ce qui était rare à Mayotte. Il avait su prévoir les évènements forts qui ont marqué l’île. Et ma mère, pour les valeurs morales et religieuses qu’elle m’a transmises, dont le respect de l’autre »

Un livre ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « ‘Les bantous, langue et civilisation’, de Théophile Obenga, chercheur en anthropologie, parce que je crois que la citoyenneté française n’empêche pas de vivre son identité mahoraise »

Une musique ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Le reggae, de Burning Spear et de Bob Marley. Mais aussi le Pachanga, du Tanzanien Salim Abdallah »

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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