Les cases du quartier Saharangue à Mamoudzou ont fait l’objet d’une procédure accélérée de protection face à la menace de destruction. Cette démarche patrimoniale a surpris alors qu’elle a été lancée il y a de nombreux mois. Quelques explications s’imposent sur la création d’un patrimoine architectural à Mayotte.
Alors que la tractopelle de la SIM menaçait la case «Dôme» occupée par Vincent Liétar, la préfecture annonçait «l’ouverture d’une instance de classement au titre des monuments historiques». Il s’agit d’une procédure d’urgence, prévue par le code du patrimoine. Elle est régulièrement mise en œuvre en métropole lorsqu’un un élément patrimonial encourt un «péril imminent» mais c’était une grande première à Mayotte.
Le document parle de cette case et de ses trois voisines comme de «lieux de haute qualité architecturale dans un environnement naturel remarquable»… Cela peut sembler un peu excessif même si les quatre cases sont en effet posées sur une colline verdoyante qui constitue, encore aujourd’hui, une zone verte dans une ville construite de façon aussi dense qu’anarchique. Pourtant, l’intérêt qu’y porte la direction des affaires culturelles de la préfecture est réel et ne date pas de la semaine dernière.
Ne pas commettre l’irréparable
«Le patrimoine du 20e siècle est un sujet sur lequel on travaille depuis au moins deux ans», explique Clotilde Kasten, directrice de la direction des affaires culturelle (DAC) de Mayotte. «Ces quatre cases sont des prototypes. Elles sont particulièrement représentatives des cases SIM des années 79-83, fabriquées avec des briques de terre compressée. C’est un moment important de la construction à Mayotte, où on avait fait le choix de créer une filière et donc de construire avec ce qu’on avait sur place sans importer de matériaux», détaille Clotilde Kasten.
«Aujourd’hui, avec la décision d’instance de classement, on dit stop, on ne commet pas l’irréparable. Mais, en réalité, c’est maintenant que l’avenir de ces cases va se décider. On a une année pour décider.»
La protection des cases Dôme, Breslar, T5V et T4S est en effet lancée en même temps qu’un compte à rebours, car elle est loin d’être validée. Les services culturels ont un an pour finaliser des dossiers historiques et administratifs suffisamment solides pour obtenir les signatures.
Patrimoine : inscription ou classement
En fonction de l’intérêt architectural, artistique ou historique d’un bâtiment, il peut intégrer l’un des deux niveaux de protection. Il peut être «classé», s’il représente un intérêt à l’échelle de la nation, ou «inscrit» s’il compte dans l’histoire régionale. La mosquée de Tsingoni par exemple pourrait être «classée» et rejoindre la liste des 44.000 monuments historiques nationaux. Pour les quatre cases, on évoque plutôt une «inscription».
Ces mesures de protection ne visent pas à mettre ces bâtiments sous cloche, bien au contraire. Ils doivent rester vivants et être au cœur d’un véritable projet culturel à destination du grand public. «Si on avance vers une protection, l’idée pourrait être, avec la mairie de Mamoudzou, de créer un espace de valorisation de l’architecture et du patrimoine mahorais du 20e siècle, ouvert à tous», explique Clotilde Kasten.
Expositions et visites
On évoque ainsi la réalisation d’un espace dédié à l’architecture de Mayotte, avec des expositions autour des savoir-faire et des méthodes de construction, et surtout la mise en place de «visites guidées et d’ateliers d’animation» pour que «l’ensemble de la population de l’île profite de ces lieux de mémoire qui font honneur à la culture mahoraise», indique la note du ministère.
Si on revient à l’affaire Liétar-Azihary, il semble donc difficile pour l’occupant actuel de la case Dôme mais aussi pour ses 3 voisins de continuer à vivre dans ces lieux. De la même façon, la SIM ne pourrait pas poursuivre ses projets immobiliers dans la zone, qui consistent à démolir les cases pour densifier l’habitat du quartier.
Une carte du patrimoine
Ces cases ne sont pas les seules à bénéficier de l’attention de la direction des affaires culturelles. Spontanément, des lieux comme la mosquée Polé à Labattoir ou les usines sucrières sont évoquées.
Depuis la signature d’une convention en 2014 entre l’Etat et le conseil général, une mission d’inventaire a été mise en place. Elle s’inscrit dans les démarches qui visent à créer les fonds du musée mais aussi à travailler sur une véritable carte du patrimoine architectural qui mettra en évidence les points importants à conserver pour les générations futures. De cette manière, les services du département, des communes ou de l’Etat, pourront être attentifs à ce qui se passe autour de ces constructions pour garantir leur pérennité, même en dehors des crises de tractopelles.
RR
Le Journal de Mayotte