L’affaire Liétar-Azihary décryptée

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Comment cette histoire de case dont on ne connaît finalement pas encore la valeur patrimoniale, s’est muée d’un fait divers en un fait de société ? Est-ce le malaise du colonisé, celui du colonisateur, ou autre chose ?

Mahamoud Azihary déchire le courrier de la préfecture lançant la procédure de classement des cases
Mahamoud Azihary déchire le courrier de la préfecture lançant la procédure de classement des cases

Tout d’abord, et il faut le garder à l’esprit, Mahamoud Azihary a l’intention de démolir, dans son programme de logements, la maison d’un de ses anciens directeurs qu’il exècre. Que ce soit le hasard ou intentionnel, c’est la réalité.

Qu’il ait averti la presse la veille, pour une démolition qui, si elle avait été effective, aurait pu le rendre impopulaire, était assez finement joué. Une partie de poker dont il est ressorti vainqueur puisqu’il y a bien eu réaction : les policiers sur place  ont eu ordre d’empêcher toute démolition, et la préfecture a sorti le joker que l’on connaît, cette fameuse lettre d’étude de classement en monument historique d’une case en brique qui date de 1983. Pourquoi pas ? Un site bétonné du Corbusier l’a bien été dans la Loire.

Ce que voulait démontrer Mahamoud Azihary s’est donc produit sous les yeux des médias : l’Etat intervient en protecteur selon son bon vouloir. Mais le directeur de la SIM (Société Immobilière de Mayotte) veut aller plus loin et en faire un combat de colonisateur-dominé. Ses soutiens l’ont dénoncé en manifestant ce vendredi férié : «halte au colonialisme et à l’administration coloniale», «même les derniers des colons doivent payer leur loyer», affichaient les slogans.

« La raison du plus fort… »

Colonialisme, mise en cause de la préfecture, des messages forts pour ce rassemblement
Colonialisme, la préfecture mise en cause…

Avec le thème colonisateur-colonisé, on est certain de faire mouche mais on ne peut le généraliser. Ce genre de décision d’un Etat qui sait être omnipotent quand ça l’arrange est à classer dans « les actes manqués », comme le nommait Mlaïli Condro dans le 101 MAG. Mais est-il pour autant un geste colonial ?

Nos régions en métropole fourmillent d’exemples de petits propriétaires terriens expropriés après indemnisation symbolique. Les opposants à Notre Dame des Landes en savent quelque chose, eux qui reprochent à l’Etat de ne pas avoir analysé les conséquences de son projet.

Du côté des injustices, on pourrait citer les œuvres d’art, toujours pas intégrées à l’Impôt sur la fortune, et leur plus value fiscalement très protégée. « La raison du plus fort est toujours la meilleure », La Fontaine était affiché sur une pancarte ce vendredi. On pourrait même lui adjoindre, du même fabuliste, « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Mais certains seraient capables de le prendre au pied de la lettre… ou de l’adjectif.

Il faut donc se demander pourquoi ce thème de « colonisateur-dominé » trouve rapidement son écho dans la population. En plaçant son combat sur ce thème, Mahamoud Azihary sait qu’il le sert dans une autre affaire : celle de sa réélection à la tête de la SIM.

Règlement de compte

Mahamoud Azihary
Mahamoud Azihary : « un règlement de comptes »

Maison en perdition, ce féru de gestion a remonté la SIM. De nombreux audits en sont la preuve, dont un dernier, alors même qu’il avait commis l’erreur d’investir avant d’obtenir l’accord de défiscalisation. Une pratique qui évitait de prendre du retard dans les programmes, mais qui n’est plus tenable maintenant que Mayotte doit obéir aux règles. De l’aveu même d’un banquier de la place, pas de quoi fouetter un chat, sauf que les agréments en provenance de Bercy sont toujours bloqués, grevant la trésorerie de la SIM et malgré un avis favorable de l’audit. Un conseil d’administration doit décider dans quelques jours, du maintien de Mahamoud Azihary à sa tête.

Des documents vitaux bloqués… « Un règlement de comptes », soutient l’homme, on voudrait lui faire payer son conseil aux grévistes de 2011, alors qu’il décryptait pour eux les textes venus de Paris. Chez nos confrères de Mayotte 1ère, il vise clairement Thomas Degos, alors préfet de Mayotte.

Est-on pour autant dans un rapport colonisateur-colonisé ? A chacun de juger.

Si ce thème prend à Mayotte, c’est qu’il y a un vrai malaise national. Moins que dans les autres territoires ultramarins, le racisme anti-blanc se fait pourtant sentir dans le 101e département. Mais si en métropole, un blanc a peu de chance d’être victime de discrimination, une peau noire en revanche en a les prédispositions. Pour ne citer que l’exemple de cet avocat mahorais, major de sa promo, qui n’est jamais parvenu à décrocher un emploi dans l’Hexagone.

Combien de métropolitains, implantés depuis des années à Mayotte, ont un jugement condescendant ou méprisant sur ces habitants aux côtés desquels ils vivent ?

Que ce sentiment prenne son origine dans le comportement d’élus qui, à l’africaine, mangent sur le dos du peuple, n’est pas une excuse pour ne pas avoir découvert les qualités de la population locale. Des défauts, elle en a, mais à ce jeu, on peut dresser un bilan de nos civilisations respectives. C’est de là que vient le malaise, c’est par là qu’il en sortira.

« L’intelligence n’a pas de couleur », affirmait une pancarte…

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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