Un Collectif de jeunes adultes s’est créé pour changer l’image du quartier de Kawéni. Leur démarche est originale, qui passe par des actions en profondeur pour que « chacun assume ses responsabilités ». Une vision de long terme qui pourrait fédérer. Top départ avec la Marche de l’unité ce samedi 23 mai.
Les jeunes de Kawéni avaient déjà leurs associations : culturelles, sportives, évènementielles… mais les évènements justement se faisaient de plus en plus rares, par abandon de poste de la part de trop jeunes organisateurs partis vers de nouveaux horizons, ou par lassitude.
Deux jeunes adultes ont choisi de relever le défi de « rebooster » tout ce petit monde avec un objectif : changer l’image du quartier de Kawéni. Mais ils ont compris que sans travail de fond, point de salut.
S’ils ne sont pas nés de la dernière pluie, Julien Gauquelin, 33 ans et Daharzade Abdou Salami, 28 ans, se sont bien trouvés : leur flot intarissable traduit leur volonté « immense » de faire sortir le quartier de la délinquance qu’il affiche, « à tort », affirment-ils. Ils sont respectivement président et secrétaire d’un Collectif des associations Mahorais, CAM, qui intègre dès sa création en juillet dernier 7 membres : AJVK, ACTION COUP DE POUCE, WOITOINIA, MAY’NATURE, AJMK et ASDEK.
« Personne n’a de solution contre la délinquance »
C’est face à des acteurs publics qu’ils jugent en difficulté dans leurs réponses sur la délinquance, qu’ils ont choisi de se réunir : « personne ne semble avoir de solution pour endiguer la violence, les vols, le racket, les agressions aux alentours du quartier de Kawéni. Et personne en dehors du capitaine de police Chamassi n’y met les pieds pour discuter avec les jeunes. Lors de la réunion organisée au collège K1 issue du Conseil de prévention de la délinquance, les uns dénonçaient l’absence des parents, mais ces derniers reprochaient un manque d’occupation et de formation pour leurs ados. »
Daharzade a le débit rapide de celle qui sait comment fonctionne le quartier et qui en détient quelques clefs en tant qu’agent de médiation à la mairie de Mamoudzou.
Leur première action sera l’organisation d’une « Marche pour l’unité », « un réveil des consciences ». Elle aura lieu le 23 mai, et nous sommes tous invités dès 9h : jeunes, vieux, hommes, femmes, procureur, balayeur, entrepreneur, policiers, élus, autour d’un thème « changeons l’image de Kawéni ».
Recours à la justice en cas de laxisme des acteurs
« Chacun doit prendre ses responsabilités dans le secteur qui lui est propre pour qu’une solution émerge. Les responsables n’ont pas conscience de l’urgence. Or, de la justice à la police, en passant par les élus, on a le sentiment que tout le monde est dépassé », explique Julien de sa voix calme, et qui annonce là le deuxième temps de l’action : « des Assises sur les différents thèmes de société. »
Sa feuille de route n’est pas loin, et les exemples qui serviront de base aux Assises notés en rouge : « sur le sujet de l’échec scolaire, quelles mesures sont prises contre l’absentéisme dans les écoles ? »
Des réponses concrètes sont attendues, « nous allons interpeller les élus, et s’il le faut, on ira devant la justice », déclare Nadjidou Bacar, le trésorier. Car ils le répèteront à plusieurs reprises : « ce quartier peut être une bombe. Les pompiers et la police ne viennent pas quand on les appelle, ce qui incite les jeunes à la violence lorsqu’ils les voient, ce qui leur donne encore moins envie de venir. Il faut sortir de ce cercle infernal avant que quelqu’un ne se fasse justice lui-même.»
Ce vendredi, ils sont allés à la rencontre des commerçants du quartier : « ils sont remontés contre les jeunes et craignent pour leur avenir. Certains chefs d’entreprise qui voulaient investir font machine arrière. Notre discours les rassure, bien qu’ils attendent des preuves. »
Là encore, c’est le serpent qui se mord la queue car si pour la « Marche de l’unité » les moyens demandés sont des tee-shirts, des moyens de sonorisation ou la sécurisation du parcours, ils voient plus loin, et la nécessité d’avoir un local pour accueillir les jeunes du quartier ou un compte en banque pour organiser des Assises, « notre maigre salaire n’y suffirait pas et nous devons gagner en crédibilité », indique Julien qui est agent technique en CUI à la mairie de Mamoudzou, bientôt recruté dans une entreprise privée.
Leur démarche n’est pas de faire à la place, mais de faire en sorte que chacun assume son rôle, « nous n’allons pas impulser un nettoyage du quartier alors que la collecte n’est pas encore correctement mise en place à Mamoudzou. »
Très complémentaires, les deux acteurs du Collectif se renvoient la parentalité de l’idée et jugent comme un atout leur alliance blanc-noir : « nous rassurons ceux qui ont besoin de l’être », résument-ils non sans ironie.
Un des premiers actes sera de débaptiser ce bout de quartier où nous avons échangé, synonyme de violence, « Gaza », « mais en compagnie des jeunes du quartier qui sont insuffisamment associés aux projets ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte