A Mayotte, peu d’enseignants avaient répondu à la manifestation nationale contre la réforme des collèges. Mais une réflexion de fond s’est engagée comme en métropole.
Difficile de réformer l’école en France, le « mammouth » comme l’avait surnommé Claude Allègre. Présentée par la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, elle part d’un constat : le collège français aggrave la difficulté scolaire, c’est du moins ce que traduisent plusieurs évaluations nationales, et un comparatif avec d’autres pays.
La traduction logique pour le gouvernement Valls était donc de réformer : refonte de l’ensemble des programmes, combinaison des apprentissages théoriques et pratiques au travers des enseignements pratiques interdisciplinaires, accompagnement personnalisé, 20% du temps d’enseignement relèvera de la décision de l’équipe pédagogique, développer le travail collectif chez les élèves et les enseignants, pour les points principaux.
Cette réforme, applicable à la rentrée 2016, la vice-recteur de Mayotte, Nathalie Costantini, l’avait exposée au JDM. Elle y voyait la possibilité pour les élèves, surtout moyens, de mettre en pratique le sens des connaissances acquises
« De l’occupationnel »
Les syndicats de droite et une partie de la gauche font front en métropole en descendant ce mardi dans les rues. A Mayotte, deux trois drapeaux du SNES étaient posés sur les épaules de la trentaine d’enseignants présents, Sud Education et FO étaient absents. Ambiance bon enfant donc, avec un directeur de cabinet de la vice-recteur qui se rendait sur place pour proposer une rencontre à 10h.
« Nous reprochons à cette réforme de faire une nouvelle fois de l’occupationnel de l’élève en diminuant le nombre d’heures des savoirs de base dont le français et les maths. Il y a 30 ans, ils avaient prés de 15 heures de maths en plus », explique Thierry Wuilliez, co secrétaire départemental SNES FSU.
Les enseignants présents prennent le relai : « on nous demande d’exercer d’autres matières. On semble tendre depuis plusieurs années vers la bivalence, sans preuve d’efficacité, mais par contre avec un objectif, celui de faire baisser les coûts de l’enseignement. »
L’école n’est plus un ascenseur
Autre sujet de tension, l’autonomie accrue du principal de collège dérange : « ils ne sont pas connus pour leur pédagogie, ce sont juste des super gestionnaires ». C’est avant tout l’abus de pouvoir qui est craint, alors que les enseignants dépendent directement de leur Inspecteur pédagogique national.
Manuel Valls, le premier ministre qui a défendu dans une tribune dans Libération, le projet de sa ministre, y vante les avancées : outre la deuxième langue dès la 5e, « contre 16% d’entre eux aujourd’hui », elle permettrait aux plus timides de prendre l’assurance, grâce à la mise en pratique des apprentissages, la confiance accordée aux équipes éducatives, « à leur inventivité », alors qu’ « une consultation est en cours sur l’évolution des programmes ».
Et pourtant, c’est le même constat qui motive le premier ministre comme les opposants à la réforme : « notre école est devenue une des plus inégalitaires d’Europe (…). Comment, en effet, accepter qu’un enfant né de parents modestes ait moins de chances de réussite qu’un enfant issu de classes sociales plus favorisées? ? », interroge le premier ministre.
Quand Thierry Wuilliez relève son parcours personnel : « fils d’ouvrier, c’est école qui m’a permis d’en sortir. A l’heure actuelle, cette ascension de fonctionne plus ».
Posséder les savoirs avant de les appliquer
Il y a pourtant bien divergence. Le représentant syndical indique malgré tout que le SNES ne demande pas le retrait de la réforme, mais son amélioration. Il donne ses pistes pour un monde scolaire meilleur : « essentiellement l’effectif par classe. On vante toujours le modèle suisse ou finlandais, il ne dépasse pas 20 élèves. Nous avons obtenu de la vice-rectrice de ne pas dépasser l’effectif de 24 dans les 8 classes de REP+, mais pas en REP ». Rajouter des heures de cours dans les matières fondamentales, est également une demande.
Jean-Pierre Chevènement, qui fut ministre de l’Education en son temps, appuie la grogne des enseignants. Il parle de « laxisme au prétexte de l’ouverture et du «suivi personnalisé» » dans le Figaro, et souligne qu’ « il n’y a de véritable interdisciplinarité que sur la base de savoirs disciplinaires maîtrisés ».
Mayotte est à ce titre bien placée pour le savoir : ce n’est pas en intégrant à tout crin les élèves dans un système scolaire où il ne maitrisent pas les fondamentaux, que l’ensemble peut progresser. La preuve : selon les enseignants grévistes, cette réforme risque de précipiter de plus en plus de parents vers les écoles privées, aggravant la fracture sociale.
La métropole connaît également, à moins grande échelle, ce « largage » de jeunes qui subissent une scolarité qu’ils ne maitrisent pas. Si tous appellent à une réforme, le recentrage sur l’enseignement des savoirs de base semble indispensable, sans doute par des classes différenciées.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte