En 1992, Mme Serre gagne avec ses élèves un concours national pour imaginer l’avenir. Elle est revenue 23 ans après pour retrouver certains d’entre eux et ramener la vision de «Mayotte 2015»… une sorte de «retour vers le futur».
Elle n’avait pas remis les pieds à Mayotte depuis 1995. Vingt ans après, Madame Serre a retrouvé les bonnes habitudes. Elle a fait l’appel et dans la salle polyvalente du lycée Bamana, quelques bras se sont levés, ceux des anciens lycéens devenus des mères et des pères de famille, la quarantaine déjà bien entamée.
Il y a 23 ans, avec eux, madame Serre avait participé à un concours, «imaginer sa région en 2015». Les 26 élèves volontaires de 1ère et de terminale avaient réalisé un dossier d’une soixantaine de pages qui décrivait les pistes de développement et surtout les écueils à éviter pour Mayotte.
«Il faut se souvenir de la situation en 1992. Moi, je faisais partie des toutes premières terminales C (scientifiques). Et on avait tous nos bangas en terre», raconte El Habibe, aujourd’hui directeur des services techniques du conseil départemental. En 1992, l’électricité est arrivée à Sada depuis un an, les 16 premières écoles maternelles sont en construction, le premier juge pour enfant est nommé et Mayotte compte 94.000 habitants.
Une vision assez juste
Le plus étonnant est que les lycéens de 1992 ont vu juste pour l’essentiel. Pour eux, la départementalisation ne fait aucun doute et l’islam doit évoluer pour intégrer les lois de la République. L’habitat va se développer avec l’eau et l’électricité pour tous, et la formation de la population sera une grande préoccupation pour disposer de cadres mahorais.
Seules les échelles ne sont pas les bonnes : ils imaginent 2 à 3 lycées pour 2.000 à 5.000 élèves. Le seul lycée Bamana de Mamoudzou en accueillera 2.600 à la rentrée prochaine et rien qu’à Mamoudzou, on envisage un lycée au nord et un autre au sud de l’agglomération.
« Mayotte aura 150.000 habitants »
Développer les stations d’épuration, éviter l’hypertrophie de Mamoudzou, créer des infrastructures de transports et en particulier un axe Longoni-Combani-Sada… autant de préoccupations qui sont effectivement d’actualités et qui sont loin d’avoir été réglées.
La question de la démographie leur parait déjà importante. Ils indiquent dans leur rapport que Mayotte ne devra pas dépasser 150.000 habitants… nous sommes, à minima selon l’INSEE, 216.000. Quant à l’inquiétude face à une éventuelle délinquance, elle est à peine évoquée.
Dans leur projet enfin, Mayotte et les îles de l’océan Indien intègre l’Europe en 2015 et pour préparer les choses, ils écrivent à Jacques Delors. Celui qui est alors président de la Commission européenne prend soin de leur répondre, impressionné par leur projet de «Communauté des pays de l’océan Indien calqué sur le modèle de celui de l’Europe en construction.»
Le tout 1er voyage pour la métropole
«On avait fait un voyage à Paris pour présenter le projet», se souvient Combo, aujourd’hui enseignant à Bandraboua. «Avec ce premier voyage, on découvrait tout ! On avait vu la Tour Eiffel, les Champs Élysées, la Défense… quand on vient des bangas, tout était impressionnant… les rues, les immeubles, même les magasins.» Et l’hiver européen pour ces gamins partis en tee-shirt fait aussi partie des souvenirs, avec «les doudounes et les pulls».
«Ce voyage était aussi très utile parce qu’il nous préparait pour l’année suivante et l’université», se rappelle Sitty, aujourd’hui aux archives départementales. Eux sont revenus à Mayotte après un passage plus ou moins long en métropole. Dans le groupe, d’autres sont en Nouvelle-Calédonie, à Dubaï ou vivent encore dans l’Hexagone.
Après son passage à Mayotte, Madame Serre, elle, est retournée dans son académie de Grenoble. Son retour à Mayotte, elle le doit en partie à Denis Hermann, notre confrère des Nouvelles de Mayotte, qui avait lancé un appel à témoin pour retrouver cette classe au projet si réaliste.
23 ans après pas de concours mais l’exercice de projection dans le futur est encore d’actualité. Il se pourrait qu’on parle beaucoup de Mayotte 2025 dans les prochaines semaines.
RR
Le Journal de Mayotte