CARNET DE JUSTICE DU JDM. Attoumane A. conduisait sans permis français depuis des années. «Trois ans», a-t-il dit aux policiers. Beaucoup plus en réalité. Il a déjà été condamné à 200 euros d’amende pour ne disposer que d’un permis comorien. Il n’avait donc pas le droit d’être au volant de cette camionnette, le 3 février dernier. A Kawéni, il avait récupéré le véhicule au garage et rentrait chez lui.
Comme souvent, au carrefour du Havana, la circulation est dense. Un bus est arrêté sur sa gauche, Attoumane grille le stop et s’engage. «Le bus faisait descendre ses élèves et le chauffeur m’a fait signe d’y aller», explique-t-il. A-t-il regardé à droite ET à gauche ? Au moment où il traverse la première voie de circulation, il coupe la route au scooter qui remonte la file de voitures. Pascal J. le percute de plein fouet.
L’accident est très grave. Au sol, la victime est dans un quasi-coma. Il est évacué au CHM puis Evasané à l’hôpital de Saint-Pierre, à La Réunion. Impossible pour lui de raconter la scène. «Je ne me souviens de rien, c’est le trou noir.»
Lourdes conséquences
«Je ne conduis pas très souvent», explique Attoumane pour justifier son absence de permis. «Vous savez que s’il y a un permis de conduire c’est pour que les gens apprennent qu’il faut s’arrêter au stop», fait remarquer le juge Soubeyran.
–Vous êtes venu comment à l’audience aujourd’hui ?
-En taxi.
–C’est la bonne réponse, ironise le magistrat.
La victime, évidemment, n’en a pas encore fini avec les conséquences de l’accident. Le certificat médical lui a accordé 60 jours d’ITT mais aujourd’hui encore, il a mal au dos, il est suivi par un médecin, il est encore en arrêt de travail.
Des retenues sur salaires
Il a amené avec lui la longue liste de frais occasionnés par l’accident : billet d’avion pour La Réunion pour sa compagne, location de voiture, hébergement, perte de salaire (il ne perçoit que le plafond sécu)… «Il est contractuel et les recrutements se font en ce moment. Il ne pourra probablement pas reprendre un poste à la rentrée», argumente son amie.
Attoumane revient à la barre. Le juge lui explique la situation, le traducteur tente d’être précis. «La victime demande une provision, une sorte d’avance sur ce que vous devrez lui payer, de 15.000 euros. Vous avez conscience que vous allez peut-être payer toute votre vie, avec des retenues sur salaire, pour indemniser la victime ?»
Véhicule assuré mais conducteur sans permis
Heureusement, le véhicule était assuré. La victime va donc percevoir les sommes de la compagnie d’assurance. Mais l’assureur ne manquera pas, en revanche, de se retourner contre Attoumane, conducteur sans permis, qui devra probablement régler un montant très élevé.
Alors que le procureur Alik réclame 8 mois de prison avec sursis, le juge Soubeyran va aller au-delà : 10 mois d’emprisonnement avec sursis, interdiction de conduire tout véhicule à moteur pendant 3 ans (et donc de passer un permis français), 1.000 euros d’amende et 10.000 euros de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices de la victime.
La fin de la civilisation
Ce mardi, le dossier s’arrête là, le prévenu a 10 jours pour faire appel, une date est fixée pour l’audience civile.
Pourtant dans cette affaire, il y a une histoire dans l’histoire, de celles qui font soupirer et nous font nous interroger sur ce que devient Mayotte. «Des processus de violences se mettent en place, un non-respect des personnes qui est très inquiétant», dira le procureur Alik.
Le 3 février, alors que l’accident vient de se produire et que la victime est au sol, un conducteur de deux-roues s’arrête et se précipite pour porter assistance. Il pose son casque sur la chaussée. On le lui vole.
Dans le choc, le sac de la victime est projeté un peu plus loin. La préoccupation de certains est alors d’en extraire le portefeuille. Les vautours en action, quelque chose qui ne relève plus de l’humanité. Inquiétant, pour le moins.
RR
Le Journal de Mayotte