Pilotes de kwassa : la justice cherche comment répondre

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CARNET DE JUSTICE DU JDM. «Bonjour tout le monde !» Quand il entre dans la salle d’audience, avec son pantalon à carreaux et son tee-shirt rouge, Saïd ne sait pas trop ce qui va se passer. Les gendarmes lui enlèvent les menottes, il avance pour la première fois vers la barre.

TGI KaweniIls sont deux à être jugés en comparution immédiate ce mercredi après-midi. Ils ont été arrêtés deux jours auparavant, ce lundi 1er juin, pilotant un kwassa au nord de Mayotte, par la brigade nautique de la PAF, la police de l’air et aux frontières.
La barque de Saïd mesure 7 mètres de long. A son bord, se trouvaient 32 personnes, 20 adultes et 12 mineurs, et aucun matériel de sécurité. Saïd a accepté de mettre tout ce monde en danger pour 300 euros.

« J’ai besoin de travail. Je suis pêcheur et je suis payé si la pêche est bonne», explique Saïd. «Et en ce moment, la pêche n’est pas bonne n’est-ce pas ?» demande le président Lameyre. Saïd confirme qu’à Anjouan, la mer est mauvaise… «Et quand elle est mauvaise, c’est aussi le moment où on met le plus les gens en danger de mort en faisant la traversée Anjouan-Mayotte !» s’énerve le président.

La traversée, réponse à la misère

Pour Saïd, si on meurt en mer, c’est le destin, la fatalité… «Un destin qu’il ne faut pas provoquer», dénonce la procureure Prampart. Elle demande 8 mois ferme face à Me Hassan, l’avocate des prévenus, qui plaide un simple sursis. Car si Saïd a déjà été interpellé et condamné deux fois, c’est la première fois qu’il se trouve physiquement face aux juges. «Je veux qu’on me laisse partir, je ne reviendrai plus», implore Saïd.
Il sera condamné à 4 mois avec sursis et 3 ans d’interdiction du territoire français.

Salle d'audienc code pénal sur le bureau du présidentEntre alors dans la salle d’audience Ismaël, un pilote de kwassa comme le tribunal n’en voit jamais. Il a déjà été condamné à 8 ans et 10 mois de prison ferme, car interpellé 4 fois en tant que pilote. Il a effectivement purgé 6 ans. Car il y a quelques années, la politique pénale était bien différente pour les pilotes de kwassa. En 2009 par exemple, Ismaël a écopé de 4 ans de prison ferme, 2 ans en 2011, 2 ans ferme et 2 ans avec sursis en 2013… A chaque fois, quelques mois après sa sortie, il a quand même repris la mer… une traversée à 300 euros, la seule réponse à la misère.

«J’ai résisté pendant 4 mois», explique-t-il. A bord de son kwassa, 18 passagers partis à 1h d’Anjouan, interpellé à 7h40 au nord de Mayotte.

La question de la peine

«Il est en état de récidive de récidive de récidive…», constate la procureure. «Est-ce que la prison, ça sert à quelque chose pour M. Ismaël ?» s’interroge-t-elle. C’est la véritable question que va se poser le tribunal.
Car ces hommes ne sont que de simples exécutants, pas ceux qui vivent dans les luxueuses villas avec 30 barques à leur service. Le trafic humain va-t-il s’interrompre avec ces pilotes en prison ? Cette industrie de l’illusoire espoir d’une vie meilleure va-t-elle en être au moins un peu perturbée ? Evidemment, non.

Porte de la salle d'audience du TGI de MamoudzouLa question relève de la politique, de la diplomatie, du développement économique mais aussi de la répression… mais d’une répression effectuée au bon endroit.

«Inefficacité dissuasive de la prison»

La procureure va accabler Ismaël. «Au moins, quand il est en prison, il ne met pas les autres en danger». Elle demande 4 ans de prison ferme et 2 ans supplémentaires de révocation de sursis.

«Les peines n’ont plus aucun effet dissuasif», constate Me Hassan et «sa fidélité au système répressif devrait lui donner droit à une peine mesurée», ose-t-elle plaider.
Et de fait, le tribunal va chercher une réponse pertinente à apporter au cas d’Ismaël… et il va convenir de «l’inefficacité dissuasive de la peine d’emprisonnement». Ismaël est condamné à 10 ans d’interdiction du territoire français comme unique peine principale.

La gratitude des deux prévenus envers leur avocate était immense, eux qui ont entendu que de lourdes peines de prison ne sont pas passées loin.
Après l’audience, ils sont repartis vers Majicavo récupérer leurs affaires avant de faire le voyage dans l’autre sens, l’expulsion vers Anjouan.
RR
Le Journal de Mayotte

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