Des milliers de voyageurs bloqués, de vaines interventions gouvernementales sur fond de rumeurs d’intérêts de proches du pouvoir : la compagnie aérienne nationale malgache connaît une nouvelle crise qui pourrait signer sa disparition pure et simple.
De notre envoyé spécial à Madagascar. Plus de dix jours après le début de la grève paralysant l’activité d’Air Madagascar, la situation réunit tous les ingrédients caricaturaux d’un pays qui ne parvient pas à chasser ses éternels démons.
Avec aucun vol intérieur opéré ce week-end et quelques rares liaisons internationales (vers Paris), ce sont encore des milliers de voyageurs qui sont bloqués un peu partout dans le monde.
Le journal TanaNews citait vendredi le cas de passagers coincés à Guangzhou (Chine) sans que la compagnie ne finance l’hébergement ni ne trouve de possibilités de retour.
Sur la Grande Île ensuite, les touristes en provenance d’Europe, de La Réunion, de Mayotte ou d’ailleurs tentent aussi de trouver des solutions pour rentrer chez eux.
Le vol entre Antananarivo et Mayotte prévu samedi ayant été annulé, les passagers avaient été orientés vers un Tana-Diego Suarez-Mayotte prévu hier dimanche à 6 heures mais qui a été à son tour effacé des panneaux d’affichage… avec des remboursements et des prises en charge de moins en moins importantes au fur et à mesure que le conflit s’enlise.
Les compagnies aériennes concernées
Quelles solutions pour rejoindre Mayotte ? Certains se rabattaient sur un vol Air Austral pour La Réunion (en partie pris en charge par Air Madagascar), d’autres sur un croché via Nairobi par Kenya Airways mardi… ou d’autres encore décidaient de rejoindre Majunga en taxi brousse (10 à 12 heures de trajet) pour espérer partir sur le vol Ewa de mercredi. Espérer, car pour les compagnies extérieures, si la paralysie de la compagnie malgache est a priori une bonne affaire, elle se révèle en réalité très problématique. Air Mada assure en effet une assistance au sol des compagnies étrangères, en attendant la fin du processus de privatisation d’équipements aéroportuaires (Aéroport de Paris et la Colas Madagascar sont ainsi sur les rangs).
Les passagers d’Air Mauritius en ont fait l’amère expérience, bloqués deux heures dans leur avion en attendant que le personnel en colère d’Air Madagascar veuille bien approcher les passerelles pour les faire descendre de leur appareil. Depuis l’incident, la compagnie mauricienne a annulé ses vols vers la Grande Île.
Quant à la compagnie «mahoraise» Ewa, elle ne saura avec certitude que mardi si elle est en mesure d’assurer sa liaison Majunga-Pamandzi du lendemain.
Les intérêts du pouvoir
Ce nouveau conflit à Air Madagascar n’a cessé de prendre de l’ampleur sur fond de désaccord sur la gestion et le management de la compagnie entre une partie du personnel et de la direction. Négociations infructueuses, mises à pied, vaines réquisitions du gouvernement, intervention du Premier ministre Jean Ravelonarivo… rien ne semble parvenir à dénouer la crise alors que la compagnie perdrait jusqu’à 500.000 dollars par jour, sans que cette information soit avérée… de quoi alimenter les rumeurs sur une partie des dirigeants qui joueraient la chute de la compagnie pour en créer une nouvelle.
Le journal malgache La Vérité révélait ce week-end que «l’attitude suicidaire de la direction d’Air Madagascar face aux revendications légitimes des grévistes» s’expliquerait par une stratégie menée par deux proches de l’actuel président de la République. Ils souhaiteraient ni plus ni moins «couler» définitivement la compagnie nationale pour la remplacer par une nouvelle société, « Madagascar Airways »… Une nouvelle structure qui aurait déjà un agrément officiel de la part de l’Aviation civile de Madagascar (ACM) pour assurer des vols « régionaux, nationaux et internationaux », selon le journal. Régner sur un tas de ruines mais régner tout de même… désespérante Madagascar !
Lourdes conséquences
Quoi qu’il en soit, les conséquences commencent à être problématiques pour le pays tout entier. Le secteur du tourisme ne peut que constater un début de haute saison catastrophique pour les 38.000 employés directs du secteur et leurs familles… sans parler des activités connexes telles que l’artisanat et la pêche qui n’exporte plus rien depuis 10 jours. DHL Madagascar ne peut tout simplement plus assurer ses missions dans les transports express (courrier et colis) et les approvisionnements de nombreuses entreprises ne sont plus assurés.
Le Premier ministre assurait ce week-end que «la situation sera débloquée d’ici lundi», malgré un grand scepticisme. Tandis que Madagascar s’est parée de ses couleurs rouge, vert, blanc à quelques jours de la fête nationale qui marquera les 55 ans de l’indépendance (le 26 juin), ce n’est toujours pas le retour à la prospérité et à un développement tant espéré que le peuple malgache fêtera.
RR à Antananarivo
Le Journal de Mayotte