«Difficile, l’Etat est trop jaloux de ses biens», accuse en substance un rapport sénatorial. Des blocages concentrés sur les Zones des pas Géométriques à Mayotte, compliqués par son Histoire. L’Etat lui-même, par l’intermédiaire de France Domaine, propose des solutions pour en sortir.
Bien sûr, beaucoup d’habitants ont acheté leur terrain devant notaire, et en détiennent un titre. Mais en sont-ils vraiment propriétaire ? Leur bien n’est-il pas sur la fameuse Zone des pas géométrique, propriété de l’Etat ?
Car la majorité des terrains à Mayotte y seraient sis, «une situation liée au flou du décret de 1911 qui rendait optionnelle la régularisation ‘des autochtones’, tout en l’imposant pour les autres, dépendants du droit commun», explique le sénateur Thani Mohamed Soilihi, co-auteur d’un rapport sur le sujet.
Sans doute à mettre en lien avec un texte antérieur, le Traité de cession de Mayotte à la France de 1841 : «son article 5 mentionne que la puissance acquéreur doit respecter la propriété», rappelle le sénateur et avocat mahorais.
Mais s’il fait remarquer que dans l’hexagone (excluant donc la Corse), il y a moins de blocages, Mayotte n’est pas la seule ultramarine à se sentier spoliée. En confrontant leurs expériences mutuelles sur les blocages liés au foncier dans leurs territoires d’Outre-mer respectifs, quatre sénateurs se sont découvert des points communs et ont décidé de fournir un rapport d’information pour trouver des solutions transversales et provoquer des réactions.
L’Etat propriétaire de plus d’un tiers de l’île
Le titre du premier opus est provocateur «30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile du domaine public et privé de l’Etat.» Lui succèderont un 2ème volet sur les problématiques de titrement et d’indivision successorale, et tandis que le 3ème évoquera les conflits d’usage lors des politique d’aménagement.
La rétention du foncier par Paris dénoncée dans ce rapport, est mise en parallèle avec d’autres territoires : «à Saint Martin, la ZPG est propriété du département, et non pas à l’Etat comme partout ailleurs», fait remarquer le sénateur, qui ne souhaite pas forcément un schéma identique pour Mayotte, «mais un juste milieu.»
A en croire le rapport, l’Etat possède 141.248 km2 de Mayotte soit 37,7% de la superficie totale, un chiffre équivalent à La Réunion, alors qu’il va jusqu’à 95,2% en Guyane.
«Nous proposons de changer les régimes juridiques du foncier pour les uniformiser entre les départements», indique Thani Mohamed, qui donne une autre de leurs propositions, l’installation d’un Etablissement public foncier (EPF) à Mayotte, proposé en avril dernier par la ministre Pau-Langevin au gouvernement. Les besoins annuels en logement sont évalués à environ 2.750 logements sur l’île pour faire face à la démographie à court terme et à 2.200 logements par an d’ici 2030.
Terrain à vendre, valeur symbolique
Ça tombe bien, un Etablissement public foncier, les services de l’Etat à Mayotte ne demandent pas mieux, c’est en tout cas ce que Philippe Chauliaguet a affirmé lorsqu’il a été audité par les sénateurs. Le représentant local de France Domaine, service de la direction générale des finances publiques, précisément chargé de la bonne gestion des terrains et des bâtiments de l’Etat, s’épanche auprès du JDM sur la situation actuelle : «des procédures de régularisations pas satisfaisantes, en raison des surfaces insuffisantes, des risques de chutes de pierres ou d’inondations sur les terrains qui en interdisent la vente… Nous aurions besoin de l’expertise d’un Etablissement public foncier, notamment sur l’action des communes.»
Il cite en exemple le quartier de Mgombani, proche de la pointe Mahabou, «la commune a racheté les terrains à l’Etat et a lancé son programme de réhabilitation sociale. Mais toutes les communes n’en ont pas la capacité.»
Et il va plus loin, en proposant une avancée qui devrait satisfaire notre groupe de sénateurs : «il faut faciliter la régularisation foncière en assouplissant les règles de vente qui ne suivraient plus la valeur vénale du terrain, mais une valeur symbolique.» S’il ne penche pas pour une cession à titre gracieux, c’est pour éviter un risque de spéculation. Pour information, ne sont régularisables que les terrains occupés 10 ans l’état des lieux de 2007.
Pour avoir un impact, la délégation, dont font partie Serge Larcher et Georges Patient, viendra assurer le service après vente de leurs propositions en septembre ou octobre à Mayotte : «nous auditionnerons les cadis, les notaires, le conseil départemental qui était chargé de la réforme foncière, mais aussi l’ensemble des usagers qui peuvent faire remonter leurs propositions vers l’association des maires ou les associations comme ‘Oudahilia Haki Za Maoré’».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte