Un modèle novateur de ce que devra être l’aquaculture de demain a été présenté en préfecture par un directeur de recherche du CNRS. Calqué sur la chaîne alimentaire naturelle, il a convaincu tous les acteurs présents. Mais les inquiétudes sont vives sur la pérennité des filières actuelles dans cette période de transition.
Tous les acteurs de l’aquaculture n’étaient pas réunis ce mardi à la Case Rocher pour la présentation de l’aquaculture de demain. Ce qui est déjà un problème en soi. Outre un des principaux financeurs, le Conseil départemental, sur les quatre producteurs privés, Océanie lagon aqua, Sud Aquaculture, SCEA Benara et Aqua-mater (ex-Mayotte Aquaculture), seul ce dernier était présent, ainsi que le fournisseur d’alevin Aquamay.
Il s’agissait pourtant de repenser l’aquaculture Mahoraise, et d’en dégager un modèle viable pour le lagon. C’est un scientifique qui l’a présenté, Marc Trousselier, Président de la Commission scientifique et enseignant au Centre Universitaire de Dembéni (CUFR), rattaché à Montpellier, et à l’initiative du préfet Seymour Morsy.
Il part d’un constat qui aurait pu être intuitif, plus il y a d’espèces dans un système naturel, plus la production biologique est intense. Ce ne sont pas les 900 mollusques du lagon qui diront le contraire. Il faut donc adapter l’idée de la chaîne alimentaire, maintenir le lien entre prédateur et proie, pour une Aquaculture au nom futuriste de « Multi trophique Intégrée », ou AMI pour les intimes.
Algues et moules deux fois plus grosses
« Il ne s’agit donc plus de cibler l’élevage d’une espèce, mais de plusieurs espèces complémentaires », résume Marc Trousselier. Si de très nombreux pays se sont lancés dans des projets expérimentaux de ce type d’aquaculture, « seul un petit nombre ont dépassé le stade du pilote et sont parvenus à un stade d’exploitation commerciale ». La difficulté est donc de situer Mayotte dans cette hésitation mondiale, puisque seuls la Chine, « de manière empirique », et le Canada, « plus scientifique », ont développé cette démarche.
L’exemple de ce dernier pays est évocateur : le projet AMI a associé laminaires (longues algues), moules et saumon, « entrainant un gain de croissance de 46% pour les laminaires et 50% pour les moules », appuie le scientifique. Les saumons sont de manière rassurante, restés à l’identique. Les trois espèces citées sont commercialisables.
Seules des espèces locales seraient choisies, « pour ne pas risquer la transformation d’une espèce importée en espèce invasive », et les sites seront choisis en référence à des critères écologiques.
La recherche sans IFREMER
Un modèle qui ne pourra réussir qu’en interconnexion avec les activités terrestres : « les littoraux sont de plus en plus densément peuplés, polluant les eaux lagunaires de nutriments et de contaminants, provoquant à terme, la mort de l’écosystème, et des dates de retour à des eaux saines imposées par l’Europe très lointaines. »
La présentation réjouit pour sa logique à peu prés tout les participants autour de la table : un satisfecit du Parc Naturel Marin qui se réjouit d’un modèle d’aquaculture soucieuse de l’environnement et de la biodiversité du lagon tel qu’il est prévu dans son Plan de gestion, moins de la part des acteurs qui vivent actuellement de l’aquaculture comme Yann Perrot, directeur d’Aqua-mater, qui revient sur un dossier ancien qui aurait mérité d’être abouti, l’implantation d’IFREMER à Mayotte.
Car c’est bien une phase de recherche qui s’annonce, au moment où les velléités de développement de Jean-Claude Pastorelli ont été stoppées net sur le même projet d’Aqua –mater, « on ne s’improvise pas producteur de ‘je ne sais pas quoi’ », tacle le préfet Morsy à l’encontre du porteur de projet absent.
Phase de test
C’est dans le cadre d’un rapport de force entre l’homme d’affaire niçois et la préfecture de Mayotte, qu’éclot ce projet d’AMI, et dans un contexte de difficulté de la filière puisqu’aucun producteur n’a actuellement acheté d’alevins à Aquamay, achevant de le placer en position délicate. Au dernière nouvelle, le conseil départemental lui aurait accordé une rallonge, lui évitant in extremis le tribunal de commerce.
La filière aquacole n’est donc pas au mieux de sa forme, avec une production d’Aqua-mater qui a chuté de 63 tonnes en 2013, à 14 tonnes en 2014.
L’AMI, et même d’AMIE en y ajoutant le terme Evolutive, doit donc entrer dans une phase de recherche qui risque d’être longue, « d’ici 5 ans », comprenant l’inventaire d’espèces locales éligibles à ce mode d’élevage et l’inventaire des sites favorables. Marc Trousselier tenait à rassurer Yann Perrot, « les solutions de demain sont les connaissances d’aujourd’hui. Il y aura donc une phase de test, avec la mise en place d’un démonstrateur comme au Canada, et une évaluation des productions obtenues et de leur impact environnemental ».
Pas certain que celui qui se lève chaque matin pour travailler sur ses cages soit tout à fait rassuré sur la période de flottement qui s’annonce… Le commandant Carrère du BSMA non plus d’ailleurs, plutôt agacé par le peu de perspective : « ma filière d’insertion en aquaculture dégringole année après année, j’ai zéro visibilité. Elle finira par disparaître ». Elle est pour l’instant maintenue, assurait le préfet.
Quant à la gouvernance, elle sera collective, « une association d’acteurs. Mais il vaut mieux un seul acteur plutôt que des initiatives disparates », appuie le préfet Seymour Morsy.
Ne comptez donc pas immédiatement sur l’aquaculture comme moteur de développement pour Mayotte, elle est en pleine mutation. Et pour une fois, les poissons mettront davantage de temps à sortir de la chrysalide qu’un papillon.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte