Proposer aux cadis un statut adapté à un département qui joue les originaux dans une République française qui a fini par les accepter, c’était l’enjeu du vote d’un rapport en urgence au Conseil départemental. Son sort dépend maintenant de sa publication rapide au J.O.
C’est toute la société Mahoraise qui a basculé ce 31 mars 2011 dans l’inconnu de la départementalisation. C’est un peu le mur du son que ce territoire a franchi ce jour là, un passage brutal d’une société traditionnelle, avec ses codes, ses avantages avec des individus plutôt soudés, ses inconvénients lors de règlements de conflits parfois violents. Les cadis étaient au centre de cette organisation.
En en proposant une autre, avancée comme plus civilisée, l’Etat a voulu montrer qu’une barrière était franchie, et que maintenant, « on est en France ». Une prise de conscience soudaine, alors que Mayotte l’était, française, depuis 1841.
S’il est coutume de dire que tout évolue vite, « trop vite ma bonne dame », à Mayotte, on peut désormais en dire autant de certains acteurs métropolitains. Alors que l’idée même de réhabiliter les cadis était vécue en 2011 par l’administration ou le milieu judiciaire comme un outrage, une gifle aux capacités immenses qu’offraient le droit français et ses déclinaisons dans le maintien de l’ordre, l’Etat a fait montre de réflexion depuis, et a décidé de travailler avec ceux qui sont reconnus comme exerçant toujours un rôle social, les cadis.
Une structure autonome
Leur action, en tout cas celle du porte parole du Grand Cadi, El Mamouni Mohamed Nassur, dans le conflit entre les villages de Majicavo Koropa et Kawéni, aura été déterminante.
La parole du député Ibrahim Aboubacar au cours des ateliers préparatoires au document cadre Mayotte 2025 aussi. Des réunions de travail ont donc eu lieu avec le président Sabatier du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou, le procureur Joël Garrigue, le député Ibrahim Aboubacar, et El Mamouni Mohamed Nassur.
Il en est ressorti un texte proposant un cadre juridique officiel pour les cadis. Et il a été proposé au vote en urgence lors de l’assemblée plénière de ce jeudi. « Il est conçu en deux étapes : reconnaître tout d’abord les religieux dans l’organigramme du département dont ils sont salariés, en listant leurs missions, pour aboutir à une structure autonome. », explique Issa Abdou, le conseiller départemental chargé de la l’Action Sociale, la solidarité et la santé.
Vite, ça urge
Ahamed Attoumani Douchina, ancien président du conseil général, déplorait la présentation en urgence d’un texte « qui aurait mérité réflexion et apports des uns et des autres », et faisait remarquer que sur certains domaines, entraient en conflit le droit commun et la coutume locale : « en matière d’héritage à Mayotte, le garçons hérite du double de la part de la fille. Je ne suis pas certain que ce soit la même chose en droit commun », raillait-il. L’élu faisait remarquer que dans les textes, le pouvoir de nommer le Grand Cadi était toujours attribué au préfet et non au président du conseil général.
Sur ce sujet de la compatibilité entre droit local et commun, El Mamouni confiait au JDM que c’était la raison du travail en collaboration avec les professionnels du droit, alors que Chihaboudine Ben Youssouf proposait de s’inspirer de la Moselle, « qui fonctionne toujours en droit local ».
Le porte parole du Grand Cadi l’affirme, le texte a de bonne chance de passer à l’Assemblée nationale : « la ministre de la Justice et le président de la République y sont favorables. Mais il restera encore beaucoup à faire après le vote au Parlement, car il faudra ensuite que soit publiée une Délégation de service publique à laquelle nous devrons répondre. »
Mais pour le député Ibrahim Aboubacar qui soutient ce texte, il faut faire vite : « la séance de vote du Projet de loi de modernisation du droit de l’Outre-mer à l’Assemblée, où serait inscrit ce texte, a été avancée du 23 au 15 juillet. Ce qui implique une publication rapide de la délibération votée par les conseillers départementaux le plus rapidement possible au Journal Officiel, pour le transmettre au préfet qui saisira le gouvernement. »
Un vote à l’unanimité applaudi par les cadis… espérons qu’il ne se fasse pas attendre.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte