Mayotte-Anjouan : légal ou clandestin, quel prix pour une traversée

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La démonstration de l'interception simulée d'un kwassa sous les yeux du ministre de l'Intérieur en juin 2014

Ils sont des milliers à payer chaque année pour une traversée entre Anjouan et Mayotte, un voyage souvent très dangereux lorsqu’il est effectué illégalement… et qui, pourtant, est parfois plus cher que ceux réalisés dans des conditions légales. C’est l’étonnante conclusion des chiffres que s’est procuré le JDM.

La côte et le lagon d'Anjouan
La côte et le lagon d’Anjouan

Entre Anjouan et Mayotte, la traversée clandestine concerne chaque année des dizaines de milliers de migrants. Combien sont-ils à faire le voyage en kwassa entre les deux îles? Impossible de la savoir, même si près de 20.000 personnes ont été expulsées l’an dernier de Mayotte vers les Comores… sans que cela fasse baisser brutalement notre population.

Il est communément admis que cette traversée coûte très cher à des familles dont le niveau de vie est faible. Le JDM a tenté de mettre des chiffres sur cette réalité et les résultats sont étonnants.

On sait que les tarifs pratiqués pour les voyages clandestins sont fonction du nombre de passagers à bord du kwassa. Les plus chers sont évidemment les «kwassas VIP» qui peuvent disposer de moteurs plus puissants que les embarcations classiques et de tout le matériel de sécurité pour effectuer une traversée maritime (GPS, gilets de sauvetage, matériel radio…). Sur ces embarcations les passagers sont rarement plus de 5. Le voyage coûte entre 500 et 1.000 euros (généralement plutôt le haut de la fourchette).

Un voyage en étapes

Les tarifs sont ensuite décroissants, alors que monte le nombre de passagers et que diminuent la puissance du moteur et le nombre d’équipements de sécurité (totalement absents des kwassas habituels). Entre 6 à 20 passagers sur le bateau, les tarifs oscillent entre 200 et 400 euros. Ils diminuent entre 150 et 200 pour des voyages avec un nombre de passagers compris entre 21 et 40. Pour un voyage au-delà de 40 passagers (avec parfois un départ à deux embarcations et un transbordement sur une seule au cours du trajet), les tarifs sont les plus bas, entre 100 et 150 euros.

Un kwassa en provenance d'Anjouan sur une plage d'îlot Mtsamboro en mars 2015
Un kwassa en provenance d’Anjouan sur une plage d’îlot Mtsamboro en mars 2015

En réalité, le coût du trajet est souvent augmenté pour les kwassas «bas de gamme» car les pilotes ne déposent pas forcément leurs passagers à destination. Certes, ils arrivent en terre mahoraise mais beaucoup s’arrêtent sur l’îlot Mtsamboro, une façon de limiter les risques de se faire intercepter par les forces de sécurité françaises. Pour les voyageurs clandestins, la fin du voyage a alors un coût : il faut débourser entre 100 et 300 euros pour que des pêcheurs sans scrupules, de Mtsamboro, d’Acoua voire de Koungou, les prennent en charge vers Grande Terre.

Pour voyage illégal moyen, avec une vingtaine de passagers, un ressortissant comorien adulte doit donc débourser entre 250 et 500 euros.

Une centaine d’euros pour un visa

Combien ces mêmes personnes auraient-elles dû débourser pour une traversée légale ? Si elles avaient choisi de venir en avion, le billet leur aurait coûté un peu moins de 250 euros au départ d’Anjouan (Ewa ou Inter Île Air). Par bateau, la traversée est de 181 euros pour un adulte avec la SGTM (141€ pour un enfant, 31,5€ pour un bébé). Le prix de ces trajets aériens ou maritimes couvre des allers-retours (il faut justifier d’un billet retour pour pénétrer en France).

VisasMais à ces frais, le voyageur doit rajouter le coût d’un visa, obligatoire pour les voyageurs de nationalité comorienne qui veulent entrer sur le territoire français. Il est alors nécessaire de compter une petite centaine d’euros par personne pour obtenir l’ensemble des justificatifs comoriens : 3€ pour un acte de naissance, 4€ pour un certificat de nationalité, 2€ pour un certificat de résident, 71€ de frais de passeport, 1€ de visa de sortie. Il faut aussi débourser généralement 21 euros d’assurance médicale. Parmi les pièces demandées, on trouve en effet un certificat d’assurance voyage (rapatriement – soins médicaux) assurant une couverture minimale de 30.000 euros et qui doit être valide toute la durée du visa demandé.

Des voyages légaux moins chers

Il faut ensuite payer le visa français proprement dit. Pour les ressortissants des Comores, les tarifs pour Mayotte sont particuliers, distincts de ceux de l’espace Schengen (dont fait partie La Réunion mais pas Mayotte). Il faut payer 9€ pour un court séjour de moins de 30 jours (4.425 Francs comoriens). Un visa long séjour se paye 99 euros (48.700KMF).

Les deux kwassas récupérés par la gndarmerie sur l'îlot Mtsamboro ce 3 mars 2015  sont évacués par les gendarmes
Les deux kwassas récupérés par la gndarmerie sur l’îlot Mtsamboro ce 3 mars 2015 sont évacués par les gendarmes

Et ce n’est pas tout. Il faut encore justifier de viatique, c’est-à-dire de disposer de suffisamment d’argent pour la longueur du séjour. Le consulat de France demande 32,50 euros/jour. Pour un séjour de 10 jours à Mayotte par exemple, un Comorien doit donc justifier qu’il dispose de 325 euros sur lui ou sur ses comptes.

Une fois toutes les additions effectuées, un voyage légal coûte en moyenne en bateau 300 euros pour un séjour court, un voyage qui est donc moins cher que le même effectué sur un kwassa dangereux… D’autant que les frais de passeport ne sont à acquitter qu’une seule fois. Pour un 2e voyage, pas besoin de repayer 71 euros.

Une filière économique

Sur le papier, a priori, on peut donc en conclure que la filière clandestine n’est pas si attirante… mais il y a un «mais». C’est sans compter le nombre de démarches à accomplir, pour rassembler les documents et attestations jusqu’aux photos d’identité au bon format pour pouvoir déposer un dossier de visa… qu’il faut ensuite obtenir.

La démonstration de l'interception simulée d'un kwassa sous les yeux du ministre de l'Intérieur en juin 2014
La démonstration de l’interception simulée d’un kwassa sous les yeux du ministre de l’Intérieur en juin 2014

Enfin, ce visa comporte une obligation, celle de justifier des motifs de voyage : privé, familial ou touristique, sanitaire, scolaire ou artistique. On ne peut donc pas voyager pour venir temporairement travailler à Mayotte puis repartir vivre le reste de l’année aux Comores.

Avec un niveau de vie moyen qui ne cesse de se creuser chaque année en Mayotte et les Comores, ajouté à un manque de fluidité et de simplicité dans les démarches, et à l’impossibilité de faire des voyages pour travailler… la filière économique que représente ce véritable trafic d’êtres humains n’est pas prête de s’arrêter.
Car compte tenu de tous ces chiffres, certains vivent grassement de la misère des autres.
RR
Le Journal de Mayotte

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