Alors que l’INSEE a dévoilé son étude sur nos déplacements entre domicile et lieu de travail, ces données posent les éléments d’un débat sur l’aménagement et les modes de déplacement du département. Explications.
«Chacun a le sentiment que le réseau est saturé alors que les gens utilisent peu leur voiture». Le constat de Jamel Mekkaoui, responsable de l’INSEE Mayotte, est aussi un avertissement. L’étude qu’il a dévoilée hier sur les déplacements domicile-travail fait apparaître que 9.400 personnes viennent quotidiennement à Mamoudzou depuis le sud, le nord et Petite Terre.
Alors que les bouchons s’étirent toujours plus loin et toujours plus tôt aux entrée de la ville chef-lieu (il faut également ajouter le flux de véhicules intra-Mamoudzou, par exemple entre Passamainty et Kawéni), nous ne sommes pas au bout de nos peines : la situation est grave, elle pourrait devenir désespérée.
Le taux d’équipement des Mahorais en automobile est en effet encore faible. Il est de 27% (contre 81% en métropole et 70% à La Réunion) et les foyers équipés n’ont (encore) généralement qu’une seule voiture. Mais ce taux augmente rapidement sous l’effet de deux phénomènes. Le niveau de vie est durablement orienté à la hausse et la voiture, objet de réussite sociale, est un des premiers achats importants effectués. La démographie joue également à plein, avec la moitié de la population mahoraise qui a moins de 25 ans.
7 voitures de plus par jour
Résultat, en 2014, 2.619 véhicules neufs ont été commercialisés à Mayotte, selon les chiffres de l’IEDOM, en augmentation de 10,7% par rapport à 2013. Cela représente plus de 7 voitures supplémentaires chaque jour. La progression est également importante pour les deux-roues (+6% en 2014) avec 1.813 scooters et motos immatriculés l’an dernier.
Mais attention, dans le même temps, le nombre de demande de permis de conduire explose, avec 3.828 nouvelles demandes en 2014 soit +51,0%.
Quant aux permis effectivement délivrés, ils augmentent de 27% à 1.961… avec 7 nouvelles auto-écoles ouvertes en 2014.
Cette situation laisse donc présager une saturation rapide du réseau routier si rien n’est fait. Au regard des données de l’INSEE, trois possibilités s’offrent aux décideurs. La première consisterait à développer les infrastructures routières. On pense évidemment à un contournement de Mamoudzou par les hauts qui permettrait, entre Tsoudzou ou Tsararano et Majicavo, de créer une voie de circulation rapide qui allègerait la pression automobile dans les villages tout en fluidifiant le trafic.
Un pont et des transports en commun
La fameuse question du pont entre Petite Terre et Grande Terre mérite à ce titre également d’être posée. Selon les données de l’INSEE, 2.100 Petits-terriens prennent la barge pour aller travailler (parmi eux, 1.800 travaillent à Mamoudzou). Et ils sont 400 Grands-terriens à faire le trajet en sens inverse. Au total, 2.500 personnes bargent donc quotidiennement pour aller travailler, un flux dont on ne sait pas s’il est appelé à se maintenir, augmenter ou diminuer.
La deuxième option consiste à mettre en place, enfin, de véritables transports collectifs, urbains et interurbains, avec des fréquences et des temps de parcours garantis. Actuellement, avec la barge, seuls les taxis jouent le rôle de transport en commun, permettant à 31% des actifs de Mayotte de se rendre à leur travail. Les projets de lignes de bus traînent depuis longtemps mais le dernier, porté par la mairie de Mamoudzou et qui a reçu 9 millions d’euros de financement pour les études de la part du ministère de l’écologie, devrait finir par sortir de terre.
Déplacer les résidences ou le travail
Enfin, ultime option : mettre en adéquation les lieux de résidence et les lieux de travail. Soit les Mahorais viennent plus massivement habiter à Mamoudzou, ce qui implique à la fois la mise en chantier de logements mais aussi le fait d’accepter de vivre ailleurs que dans son village, soit les activités déménagent. L’INSEE n’a pas fait le distinguo entre emploi public et emploi privé, mais, par exemple, la question de la concentration de l’ensemble des services administratifs du conseil départemental mériterait d’être posée. Pourquoi certains services qui n’accueillent pas du public ne travailleraient pas à Bandrélé, Sada ou ailleurs ?
Le développement de l’interco’ Mamoudzou-Dembéni sera de ce point de vue très intéressant à suivre, pour voir si nos élus font le choix d’étaler l’activité sur un espace géographique plus vaste.
«Mayotte est face à des choix politiques forts qui vont conditionner son développement», explique Jamel Mekkaoui, et les solutions sont probablement à trouver dans un panachage des options. Sur ce sujet, comme sur d’autres, notre retard pourrait devenir un atout pour avancer sur les solutions de 2015 sans passer par les choix faits en métropole dans les années 1970 ou 80.
Car aujourd’hui, une autre question ne peut être ignorée : celle du respect de l’environnement et de la limitation de notre empreinte carbone que nous ne pourrons pas éternellement laisser s’envoler.
RR
Le Journal de Mayotte