Le drame de l’immigration, c’est tous les jours à Mayotte. L’écho international après la publication de la photo du petit Aylan réveille des consciences qui s’étaient endormies sur le sort de nombreux naufragés comoriens. Et pourtant, la volonté d’un avenir meilleur est la même.
Des vagues qui se forment, se font menaçantes et finissent par renverser l’embarcation. Les passagers jetés à l’eau et les conséquences que l’ont peut imaginer ensuite… C’est un récit que les médias mahorais ont rapporté de nombreuses fois. C’est l’histoire tragique des migrants venus en kwassa (barque) des îles voisines des Comores, fuyant la misère et les soins médicaux déficients.
C’est aussi le récit rapporté en boucle depuis 48 heures pour évoquer la mort du petit Aylan et celle de sa famille, fuyant la guerre en Syrie. Quelle différence fait-on avec le nombre d’enfants comoriens engloutis dans les 40 miles de bras de mer qui séparent l’île comorienne d’Anjouan de Mayotte française ? Cette année en janvier, sept corps sont retrouvés à proximité de l’îlot Mtsamboro, dont deux enfants. Mais il n’y avait pas à proximité de Nilüfer Demir, la photographe qui a pris le terrible cliché, repris par les médias internationaux.
Y a-t-il de bonnes et de mauvaises causes pour migrer? Pour convaincre la France et l’Europe qu’il faut aussi se pencher sur le problème migratoire régional, on peut rappeler l’épopée de Nadham, désormais Mahorais, grand brûlé à Grande Comore à la suite d’un barbecue, qui a dû patienter dans les couloirs de l’hôpital El Maarouf de Moroni que ses parents aillent acheter de la morphine et des pansements pour alléger ses souffrances.
Les dirigeants savaient
Or, avant-hier, il a suffit d’une photo pour choquer la population mondiale: «C’est l’Europe entière qui se réveille», titrent les journaux métropolitains. Mais les dirigeants français et européens savaient. Le président François Hollande comme Johannes Hahn, Commissaire en charge de l’élargissement et de la politique européenne de voisinage, sont venus à Mayotte, ils connaissent la réalité de l’île.
Interviewé par EuroActiv Allemagne, le commissaire européen évoque une proposition pour une stratégie européenne de l’immigration remise en mai dernier. «C’est aux Etats membres de prendre les décisions finales», déclare-t-il. On a connu l’Europe plus dirigiste.
On découvre les passeurs, ceux qui sont jugés par rafale de 20 au Tribunal de Mamoudzou. «Des trafiquants d’êtres humains, sans foi ni loi», titrait le quotidien Sud-Ouest au lendemain de la découverte des 71 corps de migrants syriens dans un camion sur une autoroute d’Autriche. On y apprenait que le trafic d’êtres humains est un des plus rentables, après celui de la drogue et des armes. Et pas de représailles lorsque la «marchandise» n’arrive pas à bon port. «Il ne faut plus parler de passeurs, mais de trafiquants», invoque François Gemmene, chercheur en sciences politique et spécialiste de la gouvernance des migrations.
Un plan Marshall pour l’Afrique subsaharienne
Les migrants jetés par dessus bord, la cruauté lors des traversées, c’est la réalité décrite par le même spécialiste, la même que connaissent les enfants, femmes et hommes qui fuient la pauvreté comorienne. Le petit Aylan n’avait pas plus de brassières de sauvetage que les petits Kamal ou Ali.
La médiatisation de la photo divise l’Europe dans un premier temps, chacun cherchant ses propres intérêts au lieu de se pencher sur les vrais causes. L’afflux massif d’immigrés est craint. C’est pourtant le lot quotidien du 101ème département où prés de la moitié de la population est originaire des îles voisines.
Philippe Douste-Blazy, Secrétaire général adjoint des Nations unies, évoque sur Boursorama.com le partage des richesses, l’impossibilité pour certains de se développer au détriment d’autres, demande un plan Marshall pour l’Afrique subsaharienne et appelle à taxer les transactions financières dans les pays développés.
Ce vendredi matin, la France et l’Allemagne incitent les pays européens à s’engager sur des quotas en faveur des demandeurs d’asile. Ces plafonds freineront-ils ceux qui sont déterminés à fuir la guerre ou la misère et qui espèrent pour leur famille un avenir meilleur ?
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte