Les profs à l’épreuve du multiculturalisme

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Le vice-rectorat avait choisi de thématiser le séminaire d’accueil des nouveaux arrivants de l’Education nationale à Mayotte. Du français langue seconde aux Djinns (esprits), les nouveaux Mahorais ont découvert un peu de ces questions à la croisée des cultures auxquelles ils seront confrontés.

La notion de multiculturalisme en question pour ce séminaire de rentrée du vice-rectorat thématisé
La notion de multiculturalisme en question pour ce séminaire de rentrée du vice-rectorat thématisé

Mais pourquoi diable les Mahorais ne parviennent-ils pas à prononcer le son des lettres «u» et «e» à la française? Actoibi Laza, de l’association Shimé, a inversé les rôles. Ce samedi, lors du séminaire d’accueil des nouveaux arrivants à Mtsangabeach, il a placé les enseignants face à la même problématique : prononcer le nom «Longoni» en shimaoré. Impossible pour un Mzungu d’énoncer correctement ce «L» de la langue mahoraise à mi-chemin, quelque part entre un «L» et un «D» qui vient du fond de la gorge.

Autre exercice pour les profs: lire un mot sans maîtriser l’alphabet ou les sons. L’inspectrice académique Viviane Octor plaçait, là encore, les enseignants dans la peau d’un élève qui ne comprend pas le français. Il s’agit de déchiffrer, de prononcer et de comprendre le mot Λεξικό… Le JDM vous épargne les étapes pour y parvenir : «Lexico» signifie «dictionnaire» en grec. «L’enseignant doit se souvenir qu’il utilise une langue qui n’est pas la langue 1ère de l’enfant», explique Viviane Octor.

 Shimé inverse les rôles et la détresse linguistique
Shimé inverse les rôles et la détresse linguistique

«On apprend à lire dans une langue qu’on sait déjà parler. D’où l’importance de développer les compétences orales tout au long de la scolarité», car les élèves Mahorais, s’ils ne maîtrisent pas tous le français, loin de là, disposent de qualités pas si courantes pour s’approprier cette langue de la scolarité républicaine, grâce par exemple à la fréquentation de l’école coranique qui développe la mémoire auditive ou encore la capacité à oraliser un écrit.

Se présenter pour se rencontrer

Dès l’ouverture de la journée, ethnopsychiatre Saïd Ibrahim a placé d’emblée les enseignants face à la problématique individuelle de l’interculturalité. «La démarche de l’interculturalité est un travail d’analyse de soi-même pour se poser la question de la marmite dans laquelle on est fabriqué, pour ensuite pouvoir tisser des liens avec le monde de l’autre».

Pour le psy, l’enseignant ne doit pas hésiter à se présenter et parler longuement de son parcours de son village ou quartier d’origine pour que l’enfant puisse s’identifier. Il ne doit pas non plus se priver d’aller écouter la famille en cas de difficultés, sans être effrayé des «réponses bizarres». Parfois, Saïd Ibrahim conseille aussi d’avoir recourt à un témoin extérieur pour résoudre des problèmes avec les enfants et les parents, comme il avait déjà eu l’occasion de l’exposer devant l’association Fikira.
«Nous ne pouvons pas éduquer, soigner, former l’autre sans médiations, sans négociations parce que nous avons tous des logiques d’appartenance particulières.»

Ne pas questionner l’adulte

Ce thème de l’interculturalité amenait également les enseignants à écouter Mohamed Nassur El Mamouni évoquer l’enseignement coranique par lequel passe un nombre très important d’enfants. «Lorsque l’islam est arrivé à Mayotte, il a eu l’intelligence de ne pas toucher à l’organisation sociale mais de s’en servir pour mettre en place ce système d’enseignement qui a donné une société ouverte et tolérante qu’est la société mahoraise», a expliqué le porte-parole des cadis. C’est ainsi, qu’«un enfant à Mayotte, n’est pas seulement l’enfant de la famille mais aussi l’enfant du quartier, du village qui va participer à son éducation et finalement l’enfant de toute l’île qui doit perpétuer des valeurs.»

Mohamed Nassur El Mamouni, porte-parole du grand cadi, venu parler de la société traditionnel et de l'enseignement coranique
Mohamed Nassur El Mamouni, porte-parole du grand cadi, venu parler de la société traditionnel et de l’enseignement coranique

Logiquement, les enseignants ont eu un moment pour découvrir un peu de cette société où le groupe prime sur l’individu, découvrir aussi les familles, dans lesquelles l’oncle paternel est souvent appelé «père» et où la tante et souvent désignée comme «mère grande»… et non grand-mère, même si cette structure familiale est souvent en crise, bousculée par l’occidentalisation rapide.

Autre notion nouvelle pour les nouveaux arrivants, comprendre que traditionnellement à Mayotte, un enfant ne doit pas questionner… Un problème pour construire une pédagogie. «Le jeune évite le jugement de valeurs envers les aînés et il ne prend pas la parole devant l’adulte», d’où la difficulté de faire lever des mains quand l’enseignant pose des questions.

La vie au quotidien

Finalement, les techniciens du vice-rectorat incitaient les enseignants à aller vers les jeunes, pour leur demander avec qui ils habitent (avec ses 2 parents, le père, la mère, les oncles ou tantes, les cousins…), l’endroit où il habite (maison, banga, avec ou sans électricité…) ou encore le budget de la famille avec parfois la priorité qui donné à la survie quotidien, bien loin des préoccupations des fournitures scolaires des enfants.

Et pourtant. Malgré toutes ces choses «bizarres» pour reprendre le terme du docteur Saïd Ibrahim, l’envie des enfants d’apprendre et des parents que leurs jeunes réussissent, est réelle et profonde. Mais elle trouve souvent des moyens d’expression déroutant dans une société effectivement multiculturelle, où ceux qui n’ont souvent qu’une seule culture comme référence arrivent… de l’Hexagone.
RR
Le Journal de Mayotte

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