En formant les cadis sur la compatibilité de ces valeurs, c’est à l’ensemble de l’île qu’on rend service, disait en substance le préfet Seymour Morsy, lors de la présentation de ce DU à Dembéni. Il permettra aux cadis d’endosser le rôle de médiateur de justice proposé dans leur statut, qui doit encore être voté au Parlement.
Ce diplôme universitaire (DU) est dans le droit fil de la réflexion voulue par le gouvernement français sur le citoyen et le civisme, mais aussi de la réflexion du ministère de l’Education nationale sur la laïcité. Si cette formation civique et civile est nationale, elle prend une saveur différente à Mayotte, comme nous l’explique Aurélien Siri, Maître de conférence en droit privé au Centre universitaire de Recherche et de Formation (CUFR) de Mayotte, et responsable de ce DU : «Des diplômes universitaires sur le droit des religions sont enseignés un peu partout, mais ici, dans un département de confession musulmane à 95%, il sera orienté vers l’islam.»
Soutenu et financé par l’Etat, il va s’adresser dans un premier temps aux cadis et à leurs secrétaires greffiers. Certains le passeront en formation avancée sur un an, alors que les cours s’étaleront sur deux ans pour ceux qui ont besoin d’une remise à niveau en français et en arabe. Ils seront l’année prochaine ouverts au grand public.
Des enseignants de haut niveau
C’est Leïla Al Ardah-Miri, Professeur certifiée d’arabe à Sada, qui sera chargée de l’enseignement de cette langue. Messieurs Estienne et Wallet, qui ont produit un travail académique sur la laïcité y interviennent également, ainsi qu’Isabelle Denis, docteur en histoire, et spécialiste de l’histoire de Mayotte et Michel Younes, Maître de Conférences en théologie à l’Université Catholique de Lyon. «Que des enseignants de haut niveau!» commente Aurélien Siri.
Et El Mamouni Mohamed Nassur, le porte-parole du grand cadi, dont le travail étroit avec Aurélien Siri a permis de ficeler le programme, va plus loin: «Nous devons généraliser l’enseignement de l’arabe sur l’île. Nous avons l’islam en mémoire, mais pas en compréhension. Les Mahorais doivent comprendre les versets qu’ils lisent, tout en améliorant la maîtrise du français.»
Connaître le Coran pour s’approprier son histoire
Et le préfet de Mayotte Seymour Morsy ne disait pas autre chose : «Je vous encourage à connaître le Coran, avant même d’apprendre le français. Chacun d’entre nous doit s’approprier son histoire. Ce diplôme procède d’une démarche générale pour tirer le meilleur de la République pour l’islam, et le meilleur de l’islam pour la République.»
Ce diplôme universitaire est sorti de terre en 4 mois, par la volonté du préfet, des parlementaires mahorais Ibrahim Aboubacar et Thani Mohamed Soilihi, du conseil départemental et des cadis.
Son grand mérite est d’être multitâche: «Il enseignera tout à la fois l’arabe, la laïcité, l’histoire de Mayotte dans la France, le droit des religions et les libertés fondamentales, les statuts constitutionnels de Mayotte, etc.», résume Aurélien Siri.
Il détaille l’objectif final, étroitement lié à l’évolution statutaire de Mayotte: «Les cadis ont perdu leurs rôles de notaires, de juges, mais ils pourraient devenir des médiateurs sociaux en soutien des institutions judiciaires.»
Pour cela, la délibération tardivement adoptée par le conseil départemental sur le statut des cadis doit être examinée et votée par l’Assemblée nationale. Les cadis devront ensuite suivre un stage sur l’apprentissage de la médiation, rôle qu’El Mamouni Mohamed Nassur avait porté au pinacle lors de sa médiation réussie, qui avait mis fin au conflit inter-village entre Kawéni et Majicavo Dubaï.
«Ça n’est pas qu’on devait ça aux musulmans de Mayotte, c’est à nous tous que nous devons bien ça», concluait le préfet Seymour Morsy.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte