Recensement et état des lieux de la population pour les 1ers États généraux du social à Mayotte

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«Il y a déjà eu beaucoup de productions sur le social. Il s’agit maintenant de sortir des propositions de moyen et long terme pour mobiliser des fonds, et de court terme, en éliminant les doublons, et en améliorant les collaborations entre les acteurs »… Ramlati Ali, présidente du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), organisateur des Etats généraux, donnait le ton de l’urgence.

Jean Véron, Ramlati Ali...
Jean Véron, Ramlati Ali…

Ces premiers Etats généraux rassemblaient tout ce que Mayotte compte en action sociale : les représentants des Centre communaux d’action sociale, les services sociaux du conseil départemental, les associations, la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, le Vice-rectorat, l’Agence régionale de santé, le centre hospitalier, l’Instance régionale d’Education et de promotion de la santé… ne manquait au tableau qu’un représentant de la préfecture.

Jusqu’à présent, une conférence sur le social était une histoire de Mzungu (métropolitain). Peu d’acteurs locaux se déplaçaient. Faire du social est encore perçu comme lancer des actions en direction d’une population en situation irrégulière. C’est pourquoi, les plus de 150 acteurs présents au Koropa ce mercredi, attestent d’une prise de conscience heureuse que semble porter le département. Le nombre croissant d’actes de délinquance le justifie : « la question sociale touche les parents, les enfants, toute la communauté », retraçait Ramlati Ali, qui appelait à solder le passé pour se projeter.

330 millions d’euros injectés chaque année par la CSSM

... Issa Abdou et Roukia Lahadji, ont planté le décor de leurs contraintes
… Issa Abdou et Roukia Lahadji, ont planté le décor de leurs contraintes

Si le conseil départemental s’est décidé à reprendre le flambeau, c’est avec des moyens insuffisants, et donc un appel à l’aide de l’Etat, avec l’attente d’une convention du côté du ministère des Outre-mer. Mais aussi de l’Europe, « une délibération sera prise le 6 octobre pour avoir recours au Fonds de solidarité européen», indique Issa Abdou, 4ème vice-président en charge du social.

La Caisse de sécurité de Mayotte (CSSM) injecte chaque année 330 millions d’euros, dont la moitié est versée à des structures partenaires. Mais sans aucune ligne directrice, « nous avons lancé début septembre une réflexion sur un Schéma départemental de l’action sociale avec la préfecture de Mayotte », informe son directeur Jean Véron, qui appelle à tisser un vrai réseau associatif, et la création d’un centre social et d’un accueil des jeunes.

Recensement : la preuve contraire par le riz et la fiscalité

Jamel Mekkaoui défend la réalité des résultats de son recensement
Jamel Mekkaoui défend la réalité des résultats de son recensement face à une salle comble, et rappelle que 11 études ont été publiées depuis 2014

Après avoir pris connaissance du cadre d’intervention des différents acteurs, c’est l’INSEE qui était convié à la tribune pour proposer de planter un tableau chiffré. Et quand on parle de l’Institut national de la statistique et des études économiques, et de chiffres à Mayotte, ce sont les données du recensement qui refont surface. Annoncée à 212.645 habitants en 2012, la population de Mayotte voit double, et des chiffres avoisinant les 400.000 sont parfois jetés en pâture, «en se basant sur deux fausses estimations, la consommation de riz et les déclarations fiscales», se défend Jamel Mekkaoui, à la tête de l’INSEE Mayotte

Pour la première, il compare la consommation comorienne de 79kg par habitant, la malgache de 111 kg par habitant, et se dit qu’avec nos 212.645 consommateurs à 80 kg de riz chacun, «ça colle, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots.» On pourrait répondre que Mayotte ayant « occidentalisé » ses modes de consommation, le riz pourrait être moins consommé qu’aux Comores, et dégager malgré tout un petit delta de marge d’erreur. Quant aux demandes de déclarations fiscales, «on sait qu’elles sont demandées à outrance pour obtenir la naturalisation.»

Une estimation plus régulière de la population

Beaucoup d'interventions dans la salle
Beaucoup d’interventions dans la salle

Si le recensement s’est fait à partir de photos aériennes IGN de bâtis, Jamel Mekkaoui voudrait tordre le cou à l’idée du clandestin fuyant devant les recenseurs, «ils pensaient presque qu’on leur apportait des papiers!»

Mais comme le faisait remarquer Roukia Lahadji, représentant l’association des maires, «pour un enfant né à Mayotte, futur français, ce sont environ cinq autres qui arriveront de l’Union de Comores lors du rapprochement familial.» Elle demandait par conséquent pour adapter sa politique familiale, une estimation tous les deux ans, approuvée par Jamel Mekkaoui qui évoquait des réévaluations périodiques dans les autres départements.

Contrairement au ressenti des intervenants dans la salle, «la part de la population étrangère se serait stabilisée à 40%», affirme Jamel Mekkaoui qui avance deux tendances pour le justifier : «environ 15.000 mahorais de 18 à 30 ans partent chaque année trouver du travail, compensés par environ 30.000 enfants étrangers, nés en France, qui ont donc vocation à devenir français.» A Mamoudzou et Koungou, la proportion est de 52%. «Sur les 55.000 adultes ‘étrangers’ en 2012, 25.000 étaient en situation régulière.»

La faim, facteur d’échec scolaire

Enfants fouillant dans les poubelles à Kawéni
Enfants fouillant dans les poubelles à Kawéni

L’impression du nombre est liée au fort taux de croissance pour Jamel Mekkaoui, «nous n’étions que 180.000 il y a 5 ans.» Nous serions 2,7% en plus chaque année, donc 230.400 en 2015 à Mayotte.

Pour cerner la population en difficulté, il faut savoir tout d’abord qu’une personne sur trois n’est pas allée à l’école, que 56% des jeunes ayant achevé leur 13 années de scolarité, en moyenne à Mayotte, n’ont pas de diplôme qualifiant, et pire, « parmi les titulaires du Bac, 10% sont illettrés ». Un aveu de l’incapacité de notre système scolaire. « Il y a un vrai défi de formation de ces 40% de population illettrés, déjà sur une compréhension des mots simples, nous ne sommes pas compris quand on parle ».

Parmi le public une voix s’élève pour intégrer des données telle que la faim ou la peur d’être interpellé, dans les facteurs d’échecs scolaires.

Un autre interpelle sur la motivation : « avant, on nous disait va apprendre pour faire manger ta famille plus tard. Aujourd’hui, les petits mahorais vont à l’école plus pour s’amuser que pour apprendre. »

« Plus de la moitié sont propriétaires de la maison, pas de leur terrain ! »

Les borne-fontaines garantissent l'accès à l'eau
Les borne-fontaines garantissent l’accès à l’eau

Du côté des logements, si 63% sont en dur, « on compte 18.000 habitations en tôle ». Chiffre surprenant : si plus de la moitié de la population est propriétaire, « 58% se disent propriétaire de la maison, mais pas du terrain ! » Bien que le confort soit souvent minimal, l’accès à l’eau reste le grand progrès : 30% n’ont pas l’eau courante à l’intérieur de la maison, contre 60% en 2007.3

Enfin, et pour rester dans des statistiques made in métropole, le PIB, la richesse par habitant, « qui s’est accrue de 65% en 6ans », pas sous l’effet un développement économique intérieur, mais notamment aux transferts depuis la métropole dont la convergence du SMIG. Une richesse par habitant qui reste 10 fois plus importante qu’en Union des Comores, et 20 fois plus qu’à Madagascar, mais 4 fois plus pauvre qu’en métropole et 2 fois plus qu’à La Réunion.

Contrairement aux idées répandues en métropoles, les allocations et transferts sociaux (RSA, chômage etc.) ne participent que pour 8% aux revenus des ménages. « Que deviendra ce chiffre quand aura eu lieu l’alignement et quand les ménages mahorais connaîtront leur droit ?! », interroge Jamel Mekkaoui.

Pour clore ce chapitre, on citera Jean Véron, qui lui même citait Alain Euzéby, Professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Grenoble, «contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas le développement économique qui permet le développement social mais bien l’inverse.»

Les Etats généraux se poursuivent jusqu’au 2 octobre, notamment avec des tables rondes sur le rôle des acteurs sociaux ou sur le potentiel financement européen.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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