Le Forum de la petite enfance se tient dans un département qui détient les records français de la natalité. C’est à Mtsamboro que les acteurs de PMI, la Protection Maternelle Infantile*, infirmières et psychologues scolaires, sages femmes sont conviés par le conseil départemental. Avec un invité de marque pour cette 8ème édition, le professeur et pédopsychiatre Marcel Rufo.
Ses titres scientifiques et sa bibliographie couvrent une double-feuille A4… Mais Marcel Rufo est surtout connu pour avoir créé les maisons des adolescents, dont la maison de Solenn, «il y en a cent en France, dont une à Mayotte», souligne-t-il, de son méditerranéen accent.
Un 101ème département très jeune où la moitié de la population a moins de 17 ans, et où se posent des problèmes de parentalité, comme le soulignait Toyfria Anassi, la conseillère départemental de Mtsamboro: «Faire un enfant ne doit pas être une fin en soi, les parents ont la responsabilité de l’être qu’ils ont engendré, et pendant toute sa vie. Ce qui commence dès la première semaine de grossesse. »
Mais les PMI ont la lourde charge de suivre 55.000 enfants et 90% des grossesses à Mayotte, dont une majorité de personnes non affiliées à la sécurité sociale, un poids financier non négligeable pour le département. Comment répondre à ces challenges, avec un déficit en personnel médical ?
L’expérience de Rufo au service des PMI
La volonté politique est naissante, en témoignait le maire de la commune Harouna Colo, qui annonçait la signature « avec la préfecture et le conseil départemental d’un contrat local de santé, en faveur de la jeunesse, des personnes âgées et des personnes atteintes de troubles mentaux. »
Mais en attendant, ce sont des conseils du professeur sur le handicap et la petite enfance dont étaient venus s’imprégner ces acteurs. C’est son expérience en pédopsychiatrie qu’il mettra en avant, dispensant ses conseils à travers son vécu, pour une conférence qui tenait de « Souvenirs » de Foenkinos. C’est l’empathie pour ses malades et leurs parents qui caractérisent son parcours.
1er souvenir : « En 1975, on me confie une unité d’hospitalisation parents-enfants. Je suivais des enfants lourdement handicapés. Les parents, inquiets, me posaient des questions sur leur potentiel d’avenir. Je ne le savais pas moins même, mais ils avaient besoin d’être écoutés. On me disait qu’ils dénient le problème, c’est évident, mais, ça ne donne pas la solution. J’ai donc fermé une chambre pour y installer une cafet’ où nous prenions des petits déjeuners ensemble tous les matins. Les liens créés sont indissolubles. En PMI, ne faites pas que recevoir vos patients et leurs parents, ils n’ont pas besoin de parler à un poteau indicateur mais d’être écoutés. Et tous les 6 mois, prenez de leurs nouvelles. »
2ème souvenir : « Le pédopsychiatre de renom T.Berry Brazelton, prend un bébé dans les bras et me le passe. Je m’aperçois que le bébé s’ajuste à la prise des bras. Comme le dit Donald Winnicot, n’oublions pas que c’est par leur bébé que les adultes deviennent parents. Le bébé a des compétences, il émet des signaux, c’est ce que vous devez transmettre aux parents. »
3ème souvenir : « Une amie médecin italienne a organisé l’intégration d’une enfant autiste, qui n’évoluait pas. L’institut qui l’a accueilli avait proposé de réaliser une pièce de théâtre au long de l’année. Lors de la représentation, la petite Chiara, entourée par deux petites filles, a fini par rire et saluer. Travailler sur l’intégration est bénéfique aussi pour les autres enfants qui, en se heurtant au handicap, deviennent plus tolérants ».
Mais un fonctionnement énergivore et qui nécessite du temps, que n’ont pas toujours des acteurs du social à Mayotte, sous tension par manque d’effectif.
Un débat était donc nécessaire :
-« J’ai permis l’intégration en maternelle d’une fillette handicapée. Elle est passée au CP, mais l’autre jour je l’ai croisée avec sa maman dans la rue… On freine la réussite à Mayotte ! », rapportait un travailleurs social.
– « Cela vient du manque de soutien et de formation des enseignants », répondait Marcel Rufo, « si on ne travaille qu’avec les parents, ça ne marche pas. Si cette fillette ne veut pas être scolarisée, il faut une institution spécialisée. Quand le handicap touche les gens les plus défavorisés, c’est un double problème qu’ils ont à résoudre. On joue gros sur le plan économique, si un enfant est intégré dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT), on fait des économies psychiatriques et financières sur sa prise en charge »
-Mohamed El Amine, Directeur général du social au conseil départemental, demandait « comment continuer à motiver des parents sur un territoire qui ne reconnaît pas le handicap ? »
– Pour Marcel Rufo, « c’est à la PMI à élever la connaissance au niveau des parents. S’il manque des compétences, on peut organiser des téléconférences sans problèmes. L’expérience que j’avais menée, très accompagné de 4 professionnels médicaux par enfant n’avait abouti à rien. Je suis frappé sur ce territoire par deux tendances : des volontés fortes mais doublées d’un épuisement possible. C’est là-dessus qu’il faut travailler. »
– Un médecin espagnol qui œuvre en PMI rapporte ce chiffre : « seules 66% des grossesses sont suivies à la PMI. Une femme arrivée en kwassa a frappé en vain à plusieurs portes. C’est un facteur d’aggravation des naissances avec handicap ».
– « C’est bien franco-français que de vouloir accoucher dans des maternités, la grossesse n’est pas une maladie », répondait Marcel Rufo. Essayez comme aux Pays bas, de développer l’accouchement à domicile et de n’envoyer à l’hôpital que les grossesses à risque. Et si les conditions sanitaires dans les cases ne sont pas à la hauteur, c’est l’occasion de travailler sur leur amélioration. »
– Une sage femme de PMI revenait sur la difficulté de suivre ces commandements avec un manque de médecin face au flux des patients, « nous en accueillons 40 par jour ! »
– « Pour survivre ici, vous devez inventez des moyens spécifiques. Commencez par travailler avec un fonctionnement idéal sur 2 ou 3 cas, avec un bon suivi de grossesses précoces par exemple, et vous trouverez la solution », encourageait le docteur Rufo.
-Et le Inchallah alors ? « ‘C’est Dieu qui l’a voulu’, entend-on souvent à propos du handicap »…
– « C’est un refuge contre un avenir sombre. Ça ne doit pas vous empêcher vous, de proposer ce que vous savez faire.
Message reçu pour Mohamed El Amine : « nous œuvrerons pour transformer nos difficultés en richesse »,
Le Forum de la petite enfance se poursuit vendredi avec des stands sur les métiers du handicap disposés à la mairie de Mtsamboro et à l’école.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Le service de protection maternelle et infantile (PMI) est un service départemental, placé sous l’autorité du président du conseil général et chargé d’assurer la protection sanitaire de la mère et de l’enfant.
Il organise des consultations et des actions de prévention médico-sociale en faveur des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans. Il joue également un rôle essentiel en matière d’accueil des jeunes enfants : instruction des demandes d’agrément des assistantes maternelles, réalisation d’actions de formation, surveillance et contrôle des assistantes maternelles ainsi que des établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans.
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