Marcel Rufo a pu faire profiter les acteurs du 8ème Forum de la petite enfance de son expérience à Mtsamboro ce jeudi. Il est entre autre le « papa » de la Maison de Solenn. Nous avons pu l’interviewer sur les raisons de sa venue pour 4 jours à Mayotte.
Le Journal de Mayotte : Qu’est ce qui vous a incité à venir à Mayotte ?
Marcel Rufo : « J’ai monté une association ADOMTOM l’année dernière. Contraction entre « ado » et « dom-tom », elle a pour vocation de travailler sur deux territoires, la Guyane et Mayotte. Or un de mes anciens élèves et amis, Saïd Ibrahim, un pédopsychiatre d’origine comorienne qui exerce à Marseille, a travaillé à Mayotte. Il a déblayé le terrain.
Nous aurons quatre partenaires principaux. Le service psychiatrique du Centre hospitalier de Mayotte tout d’abord, où j’ai passé une journée de travail avec le chef de service, le docteur Real. Nous voulons monter un service de pédopsychiatrie en hospitalier, avec des assistants conjoints, par exemple marseillais, et avec l’objectif de fidéliser les gens sur l’île.
L’association Tama ensuite, qui a un quasi monopole dans le social ici. Son directeur Philippe Duret a insisté sur le handicap et son Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique. Je rencontre le sénateur et président de Tama Thani Mohamed Soilihi bientôt à Paris. Nous pourrons profiter des compétences du professeur Jamal Benjelloun, médecin spécialiste en psychiatrie à Casablanca, qui vient à Mayotte en mars. Et de celle du professeur Philippe Duverger, pédopsychiatre, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU d’Angers, qui vient en mai.
Notre troisième partenaire sera l’Education nationale, et une rencontre avec la vice-recteur Nathalie Costantini a débouché sur un projet de formation des infirmières scolaires en pédopsychiatrie.
Enfin, la priorité du territoire que sont les mineurs isolés sera pris en charge en partenariat avec Apprentis d’Auteuil.
Pourquoi ces deux territoires, la Guyane et Mayotte ?
Marcel Rufo : « Les besoins sont forts. Mais surtout, il y a à la fois des chances à saisir ici, la facilité du contact, des énergies, mais aussi des épuisements qui appellent des solutions. Nous allons y travailler pendant trois ans. Nous devrons signer des conventions avec les partenaires comme Tama ou Apprentis d’Auteuil, et avec les PMI, les Protection maternelles infantiles qui soignent les enfants de moins de 6 ans.
Plutôt que superviser, je préfère venir en transversalité, et faire des propositions. Nous avons noté l’importance croissante des drogues, comme la chimique ou la mangrove, mais attention de ne pas être pris dans un système de désespérance…
Autre problème, pour se développer, le territoire a besoin d’investissements, mais aussi de personnes durablement présentes sur les actions mises en place. »
De quels moyens financiers disposez-vous pour ces actions ?
Marcel Rufo : « J’ai bénéficié récemment d’une dotation importante, un million et demi d’euros, d’un membre de la famille Ferrero (marque Kinder, Nutella, Mon Chéri…, ndlr). J’ai financé des opérations à Casablanca, à Bruxelles, et l’association ADOMTOM entre dans cet objectif. Nous réfléchissons à doter le CHM d’une visioconférence pour pouvoir échanger les compétences.
Nous allons aussi créer un Diplôme universitaire Adolescents difficiles, ouverts aux enseignants, aux travailleurs sociaux comme aux juges pour enfants. On l’étendra au plus grand nombre, et il sera largement ‘piratable’!»
Quelle impression emportez vous après 4 jours sur l’île ?
Marcel Rufo : «Etant enfant de migrants italiens, je ressens cet endroit comme essentiel, où on est bercé par l’universalisme. Mais attention à chercher des solutions propres, et ne pas importer un prêt-à-penser métropolitain. Le territoire doit enfin prendre en charge sa population en difficulté. Une société est honorable pour ce qu’elle fait aux plus démunis, elle n’est pas honorable si elle ne s’occupe que des nantis.»
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte