Pointer les déficiences de l’Etat et restructurer ses propres services sont les deux pistes envisagées par le président du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani au lendemain de la révélation du déficit de 45 millions d’euros de son budget de fonctionnement. Il se veut toujours rassembleur, en dehors d’une ou deux petites piques pour les précédentes gouvernances. Dont un des responsables s’est livré à un vibrant meaculpa…
Des signes avant coureurs avaient déjà été donnés début 2014 par l’ancien président Zaïdani lors du vote du budget 2014, et du débat d’orientation budgétaire. Nous avions d’ailleurs titré « Risque de pente dangereuse pour le budget du conseil général ». Les recrutements clientélistes à la veille des élections sous sa mandature ont bien entendu aggravé les choses.
Aussitôt après les élections départementales, un audit avait été demandé par l’actuel président. Il vient d’être livré par la Direction générale des services, dirigée depuis 3 ans par Jean-Pierre Salinières.
Il rappelle la situation catastrophique en 2009, avec un déficit de 72 millions d’euros, gommé peu à peu grâce à la signature d’une convention de restructuration signée avec l’Etat. L’épargne dégagée alors améliore les ressources financières jusqu’en 2014. Mais le budget cette année là intègre les excédents de fonctionnement des exercices précédents, « masquant des dépenses supérieures aux recettes, et induisant un déficit structurel de la section de fonctionnement », retrace le président Soibahadine Ibrahim dans sa déclaration en préambule de la séance plénière ce 6 octobre.
« Volonté de placer le département dans une situation catastrophique »
Comment est-on passé des 26 millions d’excédent fin 2014 à cette situation ? Premier mis en cause, l’Etat. Chacun dans leur style, constructif pour l’actuel président, avec véhémence pour Daniel Zaïdani qui l’a précédé, conseiller départemental centriste qui garde toujours une dent contre le gouvernement actuel qui ne l’a pas ménagé.
Depuis 2014 et le passage de la fiscalité vers le droit commun, on sait que la dotation de compensation de l’Etat, indexée sur une année de recettes moyennes en 2012, sera insuffisante. « Il manque 20 millions d’euros par an, soit 40 millions d’euros », indique l’actuel président.
Autre problème, l’Etat réclame 32 millions d’euros de recettes indûment octroyées au département. Ce qui laisse Daniel Zaïdani « dubitatif » : « comment un préfet qui règle un budget peut-il demander ensuite un trop perçu ?! Il y a une volonté manifeste de placer le département dans une situation catastrophique pour dégrader le climat social à Mayotte sur les 6 prochaines années ! », critique l’ancien président en appelant à ne pas rembourser cette somme.
« Nous avons brûlé 350 millions de francs en 3 ans »
Est également dénoncé un montant de recettes non garanties de 14 millions d’euros (sur 45 millions pointées par le payeur), « que l’Etat bascule en créances douteuses. C’est arrivé dans le passé, et nous les avions malgré tout converties en créances réelles », rajoute Chihaboudine Ben Youssouf, conseiller départemental de Mamoudzou 2.
« C’est vous le coupable de tout ça ! », lançait, sourire en coin, Soibahadine Ibrahim Ramadani… Comme une pièce de théâtre bien huilée, Chihaboudine Ben Youssouf saisissait la balle au bond en se livrant à un franc meaculpa : « président de la commission des finances en 2006 (présidence de Saïd Omar Oli, ndlr) nous avons brûlé en trois ans le budget de 350 millions de francs et mis la collectivité en situation de déficit structurel et continu. Attoumani Douchina a continué, a été rappelé à l’ordre, et Daniel Zaïdani a alors récupéré cette situation. » Du rarement entendu dans l’hémicycle. « Ce qu’on a fait de 2004 à 2008, il ne faut plus le recommencer, nous ne pouvons pas décevoir la population », finissait-il, avant d’appeler à travailler ensemble.
Enfin, les compétences transférées mais non compensées, comme le RSA : « estimé à 15 millions d’euros, nous versons en réalité 23 millions d’euros, soit une différence de 8 millions ». Soit un total de 62 millions d’euros.
« Réduire de moitié le nombre de directions au conseil départemental »
Si Soibahadine Ibrahim fait un meaculpa général des « dérives des principaux postes de fonctionnement, frais de personnel, charges générales, train de vie au conseil départemental. Mais aussi en désorganisation des services, des achats publics, des gestion des subventions, des effectifs », sans pointer de responsabilités, on aura compris qu’il s’agit de maintenir une certaine unité, même si l’ancien exécutif est visé.
Le budget prévisionnel étant par conséquent en déséquilibre, il fallait réajuster par le vote d’une décision modificative ce mardi.
Face au marasme qui menace les investissements du département, c’est donc l’autorité de l’Etat qui sera saisie, « au plus haut niveau », indique le président qui réclamera un réajustement de la dotation de compensation, du RSA, et de la dotation globale de fonctionnement, « elle est de 183 euros par habitant à Mayotte, et de 366 dans les autres DOM ».
Les autres leviers sont la répartition de l’Octroi de mer entre département et communes, et la restructuration des postes des chapitres impactés : « d’ici le mois de novembre, je proposerai des mesures de réorganisation administrative générale. »
Des mesures qu’il détaille pour le JDM : « je compte réduire le nombre de DGA de 8 à 5 ou 6, et le nombre de directions de 46 actuellement à 20 pour plus d’efficacité ». S’il ne parle pas de licenciement, le président Ramadani évoque les « non reconduction de contrats. »
A la question de savoir si l’action sociale va être impactée, il hésite, « ça concernera le programme général », mais compte respecter le plan de la mandature, « centré sur le social et l’économie. Nous renforcerons les solidarités et la cohésion sociale. En matière d’impulsion économique, nous serons vigilant sur la pérennité de l’entreprise et le potentiel d’emploi à créer. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte