Nous avions répercuté l’explosion de la taxe foncière à Tsingoni, c’est aujourd’hui la taxe d’habitation qui flambe à Koungou. Pour au moins deux raisons: des recettes fiscales mal estimées et des logements surévalués par l’Etat par rapport à la métropole.
Bien que n’ayant fait aucun travaux dans sa maison pendant l’année, Daniel a désormais l’impression d’habiter un palace: de 2.972 euros en 2014, sa taxe d’habitation est passée d’un coup à 6.522 euros, un bond de 120% !
Les 28.700 habitants* de la commune de Koungou se sentent pris à la gorge : depuis les appartements des Hauts Vallons de Majicavo Lamir jusqu’aux habitations traditionnelles de Longoni, propriétaires et locataires sont logés au même taux, celui doublé en un an de la taxe d’habitation.
La grogne monte au fur à mesure de l’arrivée des missives estampillées «Ministère des finances». Et pour cause, rien n’a été annoncé, et aucune explication fournie, comme le regrettait Issihaka Abdillah, ancien conseiller général du département : «Lorsqu’un maire augmente ses impôts, il doit expliquer à ses administrés les investissements envisagés pour sa commune, une crèche, des écoles… etc.»
Spectaculaire mais légale
Nous nous sommes d’abord tournés vers la Direction Régionales des finances publiques de Mayotte qui nous a confirmé la légalité de la hausse. Le taux plafond ne peut pas excéder deux fois et demi le taux moyen constaté l’année précédente pour la même taxe dans l’ensemble des communes du département, ou deux fois et demi le taux moyen constaté au niveau national s’il est plus élevé.
Sur le plan national, le taux moyen était en 2014 à 23,95% (avec un taux plafond à 59,88%), 13,16% à Mayotte. Et Koungou l’a fait évoluer de 12,14% en 2014 à 25,92% en 2015. Elle est, avec ce taux, à peine au-dessus de la moyenne nationale 2014 comme le montre le tableau extrait des éléments de référence fournis par le site du gouvernement.
Qu’est ce qui fait la différence alors? Le maire n’est pas le seul décisionnaire. Le taux voté par la commune est appliqué sur une «valeur locative cadastrale», évaluée par les services fiscaux de l’Etat en fonction notamment de la surface ou du quartier. Et les valeurs locatives sont élevées à Mayotte, comme l’avait révélée en septembre 2014 une mission conduite par l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des finances en déplacement à Mayotte.
Une valeur locative comparable à l’Ile-de-France
Une anomalie qu’avait relevée le sénateur Thani Mohamed Soilihi et porté à la connaissance des membres de cette mission: «les ‘valeurs locatives’ qui servent de base au calcul de l’impôt sont comparables à celles des départements d’Ile-de France», avait-il fait part au JDM alors, déplorant qu’elles soient «bien supérieures » à la moyenne des départements d’Outre-mer.
Ce qui s’explique pour la direction des services fiscaux à Mayotte : «Nous avons pris comme référence la valeur des loyers pratiqués en 2012, lors de la bascule vers le droit commun, quand la métropole et les Outre-mer utilisent les valeurs de 1970»… Pas pour longtemps, une réévaluation étant dans l’air. Mais si les autres territoires sont déconnectés de la valeur du marché, Mayotte colle à une réalité au-dessus de ses moyens.
En 2014, si les habitants de Koungou n’avaient pas senti de différence, c’est que la commune avait maintenu des taux bas.
1,3 millions de manque de recettes fiscales…
Mais pour le maire de Koungou, il fallait avant tout «rattraper un déséquilibre du budget». Ce que nous explique son Directeur général des Services, Abdou Salam Baco : «Nous étions une des communes à la fiscalité la moins sévère. Nous avons établi notre budget prévisionnel sur une recette fiscale estimée à 2,2 millions d’euros par les services fiscaux. Or, ils nous ont annoncé en avoir récupéré seulement 900.000 euros, pour des problèmes d’adressage notamment… Il a donc fallu voter une décision modificative et corriger en montant les taux. »
Détail technique, 2014 a fonctionné comme une année tampon où l’Etat a versé aux collectivités de Mayotte un forfait établi sur les espoirs de recettes fiscales, pour passer en droit commun en 2015, avec des recettes dépendantes du recouvrement.
La commune a dû réagir face à ce manque à gagner et le vote d’une augmentation du taux a alors été décidé au sein du conseil municipal. Mettant la population devant le fait accompli. Surtout, que si des efforts sont à noter, beaucoup reste à faire à Koungou : manque d’infrastructures, déchets encore parfois entassés le long de la route à Majicavo Koropa, et les sacs ramassés à la main par les agents, faute de camions de ramassage aux normes, qui ne passent d’ailleurs pas partout.
Semer ce qui est récolté
Le DGS développe donc les ambitions de la commune: «Je rappelle que la collecte des déchets est maintenant dévolue au SIDEVAM 976 (dont le maire de Koungou est le président, ndlr). Ils ont prévu de renouveler le parc de camions. Quant aux équipements, nous avons rénovés les plateaux de Trévani et Longoni, électrifié les terrains de foot de Majicavo et Koungou, et d’ici la fin de l’année, Kangani et Longoni. La route de désenclavement de Bandrajou est terminée, et nous nous dotons, avec l’aide de l’AFD, d’une Maison de la Nature.»
Quant à envisager que le déséquilibre du budget soit aussi limité par un gel de l’indexation des salaires des fonctionnaires, pas question, «c’est un acquis!»
Les habitants seront-ils de nouveau assommés à coup de gourdin fiscal l’année prochaine, il ne le sait pas encore, mais a priori pas de mauvaises surprises : l’Etat nous propose trois taux, mini, médian, et maxi. Nous sommes juste passés du mini au médian cette année pour compenser le manque à gagner du recouvrement.»
Les habitants, eux, n’ont toujours pas digéré la taxe 2015. Ils regardent déjà alentours, et les yeux se posent vers des terres moins coûteuses des communes voisines…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Chiffres du recensement 2012 INSEE réactualisés à 2,7% de croissance annuelle