Des faux autour d’un marché public de la Chambre de Commerce et d’Industrie

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C’est une affaire paradoxale: elle aurait pu ne jamais éclater, et si de probables malversations à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Mayotte (CCIM) sont étalées au grand jour, c’est par l’action en justice d’un des principaux mis en cause, Ibrahim Maskati. Ansoir Abdou était à ses côtés à la barre du tribunal.

Ansoir Abdou et Ibrahim Maskati devaient se défendre à la barre (Image d'archives)
Ansoir Abdou et Ibrahim Maskati devaient se défendre à la barre (Image d’archives)

Les faits remontent à novembre 2013. Ansoir Abdou, qui vient d’être élu vice-président de la CCIM, envisage de fleurir les abords du marché couvert de Mamoudzou dont la CCI assure la gestion. Trois devis lui sont fournis, de prestataires paysagers, sans qu’aucun appel d’offres ne soit publié. L’un d’entre eux sera retenu, c’est Issouf Hamada, un ami d’Ibrahim Maskati, alors trésorier de la CCI.

Mais à la suite d’un différent entre les trois hommes forts de la CCI, «portant sur la dénonciation d’un de mes voyages en avion», explique Ibrahim Maskati, ce dernier va saisir le procureur sur cette affaire de marché public, comme l’article 40 du code de procédure pénale l’y invite.

Une enquête est ouverte qui commence à dévoiler des éléments douteux : les trois devis fournis à Ansoir Abdou sont quasiment identiques dans la formulation, «à la faute d’orthographe prés», souligne la juge Sylvie Roy, qui les énumère: «su» au lieu de «sur», «quatres» dont l’auteur a oublié l’invariabilité… Ils n’ont en revanche pas le même montant, avec un écart de 40.000 euros. «Tout laisse à penser qu’ils sont écrits le même jour par la même personne», lance la juge. De plus, l’émergement habituel à la réception des offres n’existe pas.

Maskati reconnaît à la barre le versement anticipé

La CCCI de Mayotte
La CCCI de Mayotte

Les deux devis évincés portent les tampons de deux sociétés, dont l’une ne travaille même pas dans le secteur paysagé… L’entreprise retenue est la moins chère. Mais son devis a changé au cours de la même journée, passant de plus de 50.000 euros à 47.500 euros. « Je trouvais le montant trop élevé, j’ai donc demandé au DGA de le signaler à Maskati », déclare Ansoir Abdou. « Et sans prévenir les deux autres sociétés, perturbant ainsi le code des marchés publics ? D’autre part, cela ne vous a dérangé ni l’un ni l’autre que ce soit Maskati, le trésorier qui se targue de ne pas mélanger les ordonnateurs et les payeurs, qui propose les noms des trois entreprises, et gère les devis?!» interroge le tribunal.

La collégialité n’est pas au bout de ses surprises car, les plantations ne sont pas encore terminées qu’un chèque de 19.000 euros est émis à l’ordre de l’entreprise d’Issouf Hamada. «Le contrat précise pourtant 40% au lancement!» commence à s’énerver la présidente, «la secrétaire a payé à votre demande bien qu’il n’y ait pas le cachet ordonnateur.» Maskati est ébranlé à la barre, et murmure, «oui, je reconnais».

Les enquêteurs se sont par ailleurs renseignés sur le prix d’un parterre fleuri autour d’un gazon même pas anglais, le tout comparable au marché proposé, « juste pour avoir une idée ». La facture se monterait à 16.943 euros, là où la CCI a approuvé un devis à 47.500 euros…

Pas de petits ou grands coupables pour le procureurSalle d'audience A la barre

Deux des prévenus, Ansoir Abdou élu depuis deux mois, et Abdoul Karim Bamana, DGA depuis un mois, s’abritent derrière la confiance qu’ils ont placée dans Ibrahim Maskati, « et son expérience de 10 ans en tant que trésorier ». Mais ils reconnaissent quelques errements, celui d’avoir fait baisser le montant d’un seul devis, pour le premier, et de ne pas avoir s’être interrogé sur l’implication de deux élus dans le montant du marché, pour le second.

Pour le procureur Philippe Léonardo, les principaux coupables sont bien Ansoir Abdou, en tant que vice-président ayant une délégation et un mandat d’exécutif public, et Ibrahim Maskati, comme instigateur de cette affaire. Il a donc requis contre eux 8 mois de prison avec sursis, avec interdiction d’exercer dans la fonction publique. Même interdiction pour Abdoul Karim Bamana, assorti de 5 mois de prison avec sursis. Pour le chef d’entreprise paysagiste Issouf Hamada, 6 mois de prison avec sursis.

Le délibéré sera rendu le 4 novembre 2015.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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