La « dream-team » préfectorale était pratiquement au complet, à la directrice de cabinet prés, ce jeudi matin dans l’hémicycle Younoussa Bamana: le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM) tenait une assemblée plénière centrée sur le bilan des actions de l’Etat à Mayotte. Des échanges parfois vifs avec les élus, qui ont le mérite de provoquer une prise de conscience mutuelle.
C’est une des rare fois où Seymour Morsy n’aura pas improvisé, et, après 13 mois passés à Mayotte, c’est un exposé d’une heure qu’il livrait aux élus du CESEM. Un exercice qui aurait mérité un auditoire plus fourni, mais les membres présents sont les représentants de la société civile et ne manqueront pas de faire remonter.
En préambule, le préfet insistait sur le lien de confiance avec les élus, « j’ai besoin de vos efforts si je veux remonter et être crédible à Paris. »
Il commencera son bilan par l’aspect sécuritaire, préoccupation première de la population. On n’en est plus au stade d’un vague sentiment, « bien que le niveau de délinquance soit comparable à la métropole », mais au constat d’une violence de plus en plus marquée dans les actes, « sacs arrachés, vitres brisées ». Qui implique deux corolaires : « travailler en entente complète avec le parquet pour trouver des sanctions qui incitent le jeune à ne pas récidiver, en responsabilisant les parents pour qu’ils sanctionnent leurs enfants, et en amont, travailler sur l’éducation. »
« Sommes-nous en sécurité ? », interpellait encore Hamidou Madi M’colo, UD FO, « certaines plages sont désertées, et les opérations de communication que vous menez à l’îlot Mtsamboro n’y changeront rien ! » Plutôt tendu, le préfet invitait les habitants à cesser le commerce illicite de migrants vers l’îlot, « histoire d’arrondir les fins de mois. »
Si Seymour Morsy cite l’action formidable des cadis, « une autorité réelle, par le respect qu’ils inspirent », on serait tenté de rajouter « pour l’instant », car, comme le faisait remarquer un membre du CESEM, « il faut préserver les traditions musulmanes pour contenir ces jeunes comme c’est le cas à Sada. »
Des données INSEE fiables
Le deuxième point remporte le consensus, « la départementalisation s’est faite sans outil ni moyens, il faut donc rattraper le temps perdu. » Au programme, chargé : la fiabilisation de l’état civil, la régularisation foncière « pour solder les 4.000 demandes en instance de régularisation », des données socio-économiques fiables « sans lesquelles on ne peut bâtir de politique fiable » demandées à l’INSEE, et le renforcement des collectivités locales.
Ce dernier sujet sur la décentralisation fut plus discuté, car si un travail important a été initié par l’Etat et son « tutorat » sur les communes avec les chartes de bonne gestion financière, le préfet revient sur les impôts locaux, en pointant des taux relevés soit par les conseils municipaux soit à la demande de la Cour des comptes, mais ne remet pas en cause la valeur locative beaucoup plus élevée sur le territoire qu’ailleurs. Autre sujet de tension, les plans de formation pour instaurer les bonnes pratiques de gouvernance ne sont pas une condition suffisante pour Hamidou Madi M’colo, qui regrettait que des cadres Mahorais compétents aient dû quitter l’île, faute d’accès à un poste intéressant à Mayotte.
Vifs échanges autour de la dotation par habitant
Le chiffre préoccupant pour notre jeunesse qui peuple pour moitié le territoire, c’est que 50% ne maitrisent pas les savoirs fondamentaux. C’est pourquoi le préfet a fait des constructions scolaires sa priorité, et travaille avec le conseil départemental sur l’école de la seconde chance, avec une condition essentielle « la maitrise du français. »
S’adresser au CESEM, c’est aussi faire une pause économique. Mayotte vit encore essentiellement de transferts, « le taux de croissance de 7% en moyenne par an que n’importe qui nous envierait, est lié à 62% au secteur public, et non aux investisseurs privés qui sont pourtant créateurs d’emplois. » Un élu rappelait que la dotation globale de fonctionnement se monte à seulement 138 euros par habitant, contre 3 à 4 fois plus en Guyane, ce qui eut le don d’agacer le préfet, « notre contrat de projet est le plus élevé de tous les Outre-mer rapporté au nombre d’habitants. »
Un « Big push » défaillant
Il rappelait les moins de 100 millions d’euros de dépenses publiques pour 2015. Mais ils concernent des secteurs peu productifs, comme la nouvelle prison, et tournés vers l’absorption du flux migratoire, le Centre de rétention administrative, l’hôpital de Petite Terre, l’accueil des étrangers en préfecture.
Non que la dépendance à la métropole soit un objectif en soi, mais parce que cette manne financière représenterait un « Big push » cher à Zaïdou Bamana, une impulsion salutaire au développement des filières. D’où naîtront les projets consommateurs de financements.
Et l’axe prioritaire de développement est bien entendu le tourisme, qui ne décolle pas. Là encore, l’équipe préfectorale a fait bouger quelques lignes : l’AOT délivré pour la Baie des Tortues, dont nous nous sommes fait l’écho, « et le travail avec la mairie de Mamoudzou pour un complexe hôtelier plage du Pendu et pointe Mahabou. »
Hôpital : « nous sommes loin du compte »
Le dossier de la résidence des agriculteurs sur leur terre comme garantie anti-pillage des récoltes avance : « sous réserve d’un foncier correct du département, nous accompagnerons l’irrigation, l’électrification rurale et les voirie. »
Dernier point, mais leader de la bonne santé de l’économie si l’on en croit l’adage, la Bâtiment, « handicapé par des importations de matériaux très couteuses, il faut agir sur l’octroi de mer. »
Déprimés, abstenez vous d’aborder le secteur sanitaire, le taux d’activité « phénoménal » de son hôpital, le manque d’attractivité pour le personnel de santé, « nous sommes loin du compte, et la pression migratoire a une forte incidence », commentait Seymour Morsy.
Le schéma de protection de la jeunesse, la réhabilitation de l’habitat insalubre, la préservation du lagon, font partie des actions à mener.
En conclusion, le préfet indiquait son souhait de faire de Mayotte un territoire où l’on ait envie de rester, « où on n’est pas de passage ».
Une rencontre-bilan qu’Abdou Dahalani, président du CESEM, souhaite annuelle.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte