Le 23 novembre prochain va se tenir le procès tant attendu de l’affaire de la jeune femme retrouvée morte après avoir consommée de la cocaïne. Un procès fleuve pour Mayotte, prélude à la 2e affaire qui transparaît dans ce dossier, celle du groupe d’intervention régional (GIR), par où la drogue aurait transité.
La voici donc enfin programmée par le tribunal correctionnel de Mamoudzou. L’affaire Roukia, après une très longue, trop longue instruction, sera jugée à partir du 23 novembre. Le procureur de la République avait envoyé les dates à l’ensemble des protagonistes pour s’assurer de la présence des 7 personnes mises en examen, des 3 témoins assistés et des 2 parties civiles.
Les retours ont permis de fixer définitivement la date de l’audience.
Au fil du temps d’une affaire démarrée en janvier 2011, chacun a entendu un bout de l’histoire mais peu sont ceux qui sont en mesure de comprendre les ressorts du dossier. Le JDM vous propose les éléments essentiels débarrassés des péripéties de l’enquête et de l’instruction, pour revenir à l’histoire. Pour savoir ce qu’est, exactement, l’affaire Roukia.
Un nom.
L’affaire porte un prénom celui de Roukia Soundi, une jeune femme originaire des Comores, habitant à Mtsapéré. Elle a un peu plus de 18 ans lorsque son corps est découvert sur une plage à Trévani, le 15 janvier 2011. Face contre terre, elle est partiellement recouverte d’un carton lesté de pierres, de terre et de branches. L’autopsie conclut à un décès «consécutif à une intoxication aiguë» liée à de l’héroïne.
Le décès et le corps.
Le lien est rapidement fait avec un coiffeur, Mathias Belmer, 40 ans, avec lequel elle entretenait une relation. L’homme a déjà été condamné à 30 mois d’emprisonnement pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
Au fil de l’instruction, il s’avère que Mathias Belmer s’était procuré 2 grammes de cocaïne peu de temps avant le drame. Il s’était rendu chez son fournisseur habituel sur la demande d’un ami, Vincent Hoareau, mais le vendeur ne disposait pas de cannabis et l’oriente vers un autre vendeur qui lui propose la poudre.
Ce soir du 12 janvier 2011, la jeune Roukia rejoint Mathias Belmer vers 20 heures. Ils consomment un rail de cocaïne, dînent puis reprennent un 2e rail. Lui s’endort. Lorsqu’il se réveille, Roukia ne respire plus. La jeune femme est morte.
Il expliquera la suite des événements par «la panique». Il ne déclare pas le décès aux autorités mais décide de faire disparaître le corps. Il se rend au salon de coiffure dans lequel il travaille et raconte la situation à sa patronne, Frédérique Blondel. Il demande également de l’aide à un ami avec lequel il achète des pelles. Mais ce dernier lui fait finalement faux bond. C’est donc sa patronne qui va l’aider à déplacer le corps qu’il a préalablement emballé de drap et de papier bulle, fermé avec du scotch industriel.
Mathias Belmer descend ensuite le corps sur la plage, retire l’emballage et le recouvre maladroitement avant de se débarrasser des draps, du papier bulle et des affaires de la victime dans plusieurs poubelles.
Mathias Belmer confirme ce récit aux enquêteurs et fait part de ses doutes sur la drogue. Il déclare que la cocaïne «était probablement de l’héroïne».
La drogue.
C’est là que débute l’autre volet de ce dossier. Quel circuit et quelles responsabilités dans le parcours de cette «cocaïne» qui «n’avait ni la couleur ni le goût de la cocaïne», selon les mots de Mathias Belmer.
Saïd Hamada Mzé, était le fournisseur habituel de stupéfiants de Mathias Belmer. C’est lui qui a mis son client en relation avec celui qui lui vendra la poudre, Daniel Mohamed. N’étant pas vendeur de stupéfiants, Daniel Mohamed avait demandé à Saïd Hamada Mzé de l’aider à l’écouler.
Saïd Hamada Mzé a rapidement indiqué être «un informateur pour le GIR (le Groupe d’intervention régional) de Mayotte qui enquêtait sur les réseaux de stupéfiants. Il continuait à vendre un peu dans l’idée de s’infiltrer pour donner des informations au GIR.
Daniel Mohamed était également un agent de renseignement. Il avait mis le GIR sur la piste d’un vendeur potentiel de cocaïne. Avec l’accord supposé de Jérémie Bouclet, brigadier de police affecté au GIR, Daniel Mohamed récupère un échantillon de 2 grammes auprès du vendeur, dans un sachet plastique transparent lui-même conservé dans une enveloppe. Il emmène cette enveloppe au GIR.
La poudre est immédiatement testée par l’adjudant Ludovic Boulain, à l’aide d’une mallette d’identification. Le test vire au bleu, c’est la couleur qui révèle la présence de cocaïne. Il est à noter qu’il n’existerait pas de traces de ces résultats. Pas d’élément non plus concernant des procès verbaux qui doivent encadrer la circulation de telles substances.
Jérémie Bouclet rend compte de cette information à son chef de service, le capitaine Gauthier qui, en pleine préparation d’une opération, renvoie l’information à plus tard. Et alors que Jérémie Bouclet prend ses congés, l’enveloppe reste sur un bureau.
Elle sera rendue à Daniel Mohamed quelques jours plus tard avec ses 2 grammes de « cocaïne » par un des membres de l’unité, Daniel Papa.
Et c’est cette enveloppe et son produit qui pourraient avoir été écoulés auprès de Mathias Belmer et qui auraient pu causer la mort de la jeune Roukia… avec ce lourd détail qui devra être tranché: cocaïne ou héroïne?
Le procès, les protagonistes.
Sept prévenus, 3 témoins assistés, 2 parties civiles, 11 avocats et une dizaine de témoins… parmi lesquels pourraient être cités un ancien procureur de la République et un ancien juge d’instruction de Mayotte.
Un des enjeux de l’audience sera de déterminer jusqu’où peut remonter la responsabilité pénale lorsqu’une chaîne d’événements conduit à une affaire d’homicide involontaire.
Le procès prévu pour démarrer le 23 novembre à 14 heures pourrait s’étaler jusqu’au vendredi 27 novembre.
On y retrouvera donc :
Mathias Belmer, coiffeur, placé sous contrôle judiciaire. Mis en examen pour acquisition, détention, transport, offre ou cession, usage de produits stupéfiants en récidive, omission de porter secours, recel de cadavre, destruction de preuve, homicide involontaire.
Frédérique Blondel, placée sous contrôle judiciaire. Mise en examen pour recel de cadavre, destruction de preuves.
Daniel Mohamed, placé sous contrôle judiciaire. Mis en examen pour acquisition, détention, transport, offre ou cession, usage de produits stupéfiants, homicide involontaire.
Saïd Ahamada Mze, placé sous contrôle judiciaire. Mis en examen pour acquisition, détention, transport, offre ou cession, usage de produits stupéfiants homicide involontaire.
Vincent Hoareau, libre. Mis en examen pour acquisition, détention, transport, offre ou cession, usage de produits stupéfiants.
Daniel Papa, gendarme, placé sous contrôle judiciaire. Mis en examen pour homicide involontaire, complicité d’importation de stupéfiants, acquisition, transport, détention, offre ou cession de stupéfiants.
Jérémie Bouclet, fonctionnaire de police, sous contrôle judiciaire. Mis en examen pour homicide involontaire, complicité d’importation de stupéfiants, acquisition, transport, détention, offre ou cession de stupéfiants.
Les témoins assistés sont Gérard Gauthier, Daniel Abdou, Ludovic Boulain.
RR
Le Journal de Mayotte