Ce n’est pas la première fois qu’un président de Caritas France-Secours Catholique vient à Mayotte, mais François Soulage, qui avait animé la mission institutionnelle avec Apprentis d’Auteuil et Médecin du Monde l’année dernière, a passé la main depuis un an à Véronique Fayet.
Une décision mûrement réfléchie, puisqu’alors élue, elle a dû tourner la page des 25 années passées à la mairie de Bordeaux en tant qu’adjointe au maire chargée des politiques de solidarité. Mais le milieu associatif, elle connaît, notamment pour avoir milité pendant 10 ans pour ATD Quart Monde. C’est pour inaugurer la nouvelle délégation mahoraise qu’elle était présente à Mayotte.
Le JDM. C’est la première fois que vous venez à Mayotte. Vos impressions ?
Véronique Fayet : « Cela me rappelle plus ce que j’ai pu connaître en Afrique. En tout cas, j’ai eu le choc d’une très grande pauvreté lorsque nous sommes allés visiter des familles habitant des bangas sur les hauteurs de Kawéni. L’un abrite une maman, veuve, que nous suivons, qui vit avec ses quatre enfants handicapés à charge, sur un lieu difficilement accessible.
d’autre part, l’immigration est un problème, qu’on perçoit partout, surtout dans les dispensaires, que j’ai pu également visiter.
Paradoxalement, en voyant les partenaires invités à l’inauguration de notre délégation mahoraise vendredi, la préfecture, le conseil départemental, la police, la gendarmerie, la PJJ, la Croix rouge , je me suis dit qu’on était bien dans un département français. Il faut donc adapter ici ce qu’on sait faire en métropole.
Autre impression, celle d’un fort engagement de nombreuses personnes ici, des militants très impliqués. »
Le centre Nyamba du Secours Catholique scolarise 120 jeunes exclus. Comment faire davantage ?
Véronique Fayet : « Demandons-nous plutôt, qu’a-t-on à apprendre de Mayotte ? Et comment impliquer ces jeunes ? Nous ne sommes pas bons sur ces sujets en métropole où nous avons dû créer Young Caritas pour y remédier. Car on entend souvent ‘je veux bien faire, mais les bénévoles ne me laissent pas la place’. Nous avons dans l’Hexagone beaucoup de retraités bénévoles, qui ont toujours travaillé comme cela, contrairement à Mayotte où le responsable du centre Nyamba, Nadham, est un jeune. Et nous avons vu la différence lors de la fête d’inauguration, les jeunes accompagnés sont beaucoup plus actifs ici.
Le problème principal que connaît le Secours Catholique en France est d’être tombé dans le distributif, en vêtement ou panier repas. Depuis 20 ans, nous tentons de nous en détacher. Le travailleur social ou le bénévole doit se mettre sur un pied d’égalité avec la personne à aider, pour ne pas risquer d’être vu comme un porteur de réponse, et de maintenir l’autre sous dépendance, dans l’attente d’une solution. C’est comme cela que nous pourrons arriver à une société juste et fraternelle, en partant des compétences de personnes qui viennent frapper à notre porte.
Ici à Mayotte, il n’y a pas souvent de grandes compétences chez les bénévoles, souvent eux-mêmes en difficultés, mais qui enseignent malgré tout le français et les maths, et font évoluer les jeunes exclus. Même en situation de précarité, on a toujours quelque chose à partager. »
Les associations humanitaires se sentent souvent bien seules à Mayotte. Avez-vous pu nouer des contacts ou des partenariats institutionnels lors de votre séjour ?
Véronique Fayet : « Lors de l’inauguration, j’ai discuté avec Bruno André, le secrétaire général de la préfecture qui souhaite nous rencontrer. Le délégué du préfet à la politique de la ville était également présent et a proposé des échanges, quant au vice-président du conseil départemental, Issa Abdou, il a bousculé son agenda pour nous recevoir et pour être présent à l’inauguration. J’espère que nous pourrons concrétiser des avancées avec lui. Nous souhaiterions notamment consolider l’action de notre association de jeunes AJVK qui travaille à l’inversion de la délinquance à Kawéni, en demandant un poste d’accompagnement à temps plein, pourquoi pas cofinancé par la politique de la ville, le conseil départemental et Caritas. C’est avec des partenariats que nous nous en sortirons à Mayotte.
Dans cet esprit, les jeunes doivent travailler avec les municipalités. J’ai été 25 ans élue à la mairie de Bordeaux, et je suis stupéfaite de voir qu’aucune relation contractuelle n’a été nouée, et que les élus sont seulement démarchés à la veille des élections pour obtenir des financements ! »
Avez-vous un dernier message à faire passer ?
Véronique Fayet : « Nous avons beaucoup à apprendre du ‘vivre ensemble’ à Mayotte, dans un esprit apaisé. Les jeunes se définissent par leurs origines, malgache, mahoraise, comorienne, mais il y a malgré tout une facilité de contacts entre les communautés. Quelle soient fondées sur l’Evangile pour nous, ou sur le Coran, nous partageons des valeurs proches. Le fait d’avoir un fils ou une fille bénévole au Secours Catholique pose un problème aux familles au départ, qui se mue rapidement au respect pour l’action engagée. On l’a vu avec Hadidja ce vendredi, qui indique qu’elle est à Mayotte pour une vie meilleure, mais qui n’attend pas que ça vienne tout seul.
Et il faut sortir des préjugés qui touchent les personnes en difficulté. Par exemple en métropole, le chômeur est encore trop souvent vu comme un faignant ou un profiteur. Un combat que nous menons avec le CREDOC. Ici, ne tombons pas dans les idées toutes faites, je vois beaucoup de jeunes qui ont la niaque ! »
Avant de repartir ce dimanche, Véronique Fayet a pris le temps de faire le point sur le Plan Jeunesse, initié par le mouvement, et dont les comité de suivi sont en cours de création, « il faut le décliner en présence des jeunes ».
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte