C’est à l’initiative du Grand Cadi de Mayotte que ce tenait ce matin un Conseil des cadis dont les thèmes étaient en lien avec les attentats de Paris. Ils seront présents pour une prière demain lors du rassemblement à Mamoudzou. Après l’évocation de la destruction du lieu de culte à Dzoumogné, ils décidaient des actions à mener dans un contexte post-attentats, en particuliers sur la formation des prêcheurs.
Les cadis sont arrivés un à un, comme tous les mardis, dans la petite salle de la permanence du Grand Cadi à Mamoudzou. Les représentants de Dembéni, puis Chiconi, Koungou, Kani-Kéli et Chirongui, Bandrélé… Ils étaient une vingtaine à assister à cette réunion.
En préambule, le médiatique porte-parole El Mamouni Mohamed Nassur, a du s’expliquer sur la présence des médias qu’il avait conviés: «Dans le contexte que nous connaissons, on doit répondre aux sollicitations de la presse et parler tous d’une même voix, comme ce fut le cas avec le préfet et le président du conseil départemental.»
Trois thèmes étaient à l’ordre du jour: le mode de participation des religieux au rassemblement de ce mercredi place de la République, la destruction de la mosquée de Dzoumogné et les dispositions à prendre après les événements de Paris.
«Pour que cela s’arrête»
S’ils appellent toute la communauté religieuse, cadis, imams etc. à se retrouver place de la République pour une minute de silence, le débat s’engage en revanche entre les cadis sur les modalités: doivent-ils et surtout, peuvent-ils, prier. Pour certains le droit commun ne le permet pas. C’est le Grand Cadi qui tranchera en shimaoré: «Notre tradition invite à lancer une douha, une prière pour demander que tout cela s’arrête. C’est ce que l’on peut apporter de mieux à la République en tant que croyant», traduit El Mamouni Mohamed Nassur.
A Dzoumogné, tous sont d’accord, cet amas de tôle n’est pas une mosquée, «c’est un lieu de prières, mais qui a pris peu à peu les habitudes d’une mosquée, en tentant d’y attirer les jeunes qui n’allaient plus dans les lieux de cultes habituels.» Un «lieu de commerce», critiquent les cadis: «Des gens venant des îles voisines qui se disaient fundis, y voyaient une méthode pour se marier et avoir des papiers.» Il n’y a donc aucun obstacle à sa destruction selon eux.
«Nous devons prendre nos responsabilités»
Ils comptent environ 260 mosquées à Mayotte, «mais beaucoup sont ‘sauvages’ comme celle de Dzoumogné». A les écouter, quatre critères permettent la différenciation avec les mosquées officielles: le foncier, «qui ne doit être sujet d’aucun litige avec un permis de construire dûment délivré», l’assentiment de toute la population, qui doit y pratiquer les cinq prières de l’islam, et enfin, «la mosquée doit concourir à la paix sociale».
En écho aux propos du ministre de l’Intérieur qui a décidé de dissoudre les mosquées radicales, ce qui paraît être un minimum syndical, le Grand Cadi invitait les religieux à prendre leurs responsabilités: «Nous devons combattre les mosquées sauvages de l’île.»
Ils se sont donc plongés dans le Coran ce lundi: « La destruction des lieux de culte sauvage est bien autorisé », donc ceux qui contreviennent à la paix sociale, « ce qui répond à nos problématiques locales et à celles du ministre de l’Intérieur. »
Un Ordre des scientifiques pour former les prêcheurs
Une cellule de crise a d’ailleurs été ouverte, « nous y recueillons les témoignages, mais nous manquons de moyens ». Car être Cadi à Mayotte, ce n’est pas toujours de tout repos. Vus comme le dernier recours des négociations lors des conflits sociaux, et avec succès comme on l’a vu lors des différends inter-villages, on attend beaucoup de ce corps religieux qui se sent parfois bien seul, «nous ne sommes pas toujours écoutés par la population», glisse le porte-parole du Grand-Cadi.
Un travail avec les services de l’Etat en appui de leur action et de leurs renseignements sur les lieux de culte paraît indispensable. « Nous avons d’ailleurs obtenu le soutien de la préfecture et du conseil départemental. » Du côté des députés, El Mamouni nous indique qu’il n’a plus de nouvelle du vote de leurs statuts qui devait se rattacher à un projet de loi.
Un conseil départemental qui est attendu sur un point essentiel selon le cadi, « davantage que le conseil des notables cher au président Soibahadine Ramadani, il faut absolument se doter d’un Ordre des oulémas. » Une assemblée de scientifiques qui validerait ou non l’enseignement dispensé par les acteurs religieux que sont les maîtres coraniques, les prêcheurs etc., et les envoyer éventuellement en formation: « la répression par les bombardements c’est bien, mais tout peut recommencer si on ne prend pas garde à l’enseignement et à l’influence sur nos jeunes, particulièrement ceux qui sont vulnérables. »
Les cadis doivent rencontrer le cabinet du président du conseil départemental pour créer au plus vite cet Ordre: « C’est par un mental fort que nos jeunes pourront résister à l’embrigadement ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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