Un parlementaire au milieu d’une Délégation aux droits des femmes, à Mayotte, ce ne pouvait être qu’Ibrahim Aboubacar ! C’est en effet à lui qu’on doit l’arrivée de trois députées qui ont découvert le rôle des femmes à Mayotte. Et leurs difficultés dans leur marche vers l’autonomie.
Lorsqu’elle est arrivée à Mayotte mardi dernier, la Délégation aux droits des femmes (DDF) menée par la députée Catherine Coutelle, invitée par le député Ibrahim Aboubacar, savait où elle était attendue : émettre des préconisations sur la mise en place d’actions sur le document stratégique Mayotte 2025 pour parvenir à une égalité homme-femme. Accompagnée par les députées Monique Orphée et Virginie Duby-Muller, elle a pu découvrir les spécificités de Mayotte dans ce domaine.
En tant que législatives, de bords politiques différents, elles ont un regard acéré sur les manquements des lois en matière d’égalité des sexes, ce qui leur permet d’anticiper et de proposer : « les femmes doivent par exemple s’orienter absolument vers le numérique, où les garçons règnent habituellement. Les banques, les impôts, tout se fait en ligne. La BNP annonce supprimer 2.000 emplois de guichets, des métiers d’accueil habituellement occupés par les femmes. Que vont-elles devenir ? », interroge Catherine Coutelle. La DDF a déjà eu un impact sur la loi Macron, «en matière de financement bancaire vers les femmes ».
Internet briseur de réputations
Sans stigmatiser le net, beaucoup reste à faire pour l’apprivoiser, « on l’a vu avec la campagne dont fut victime Miss Mayotte sur les réseaux sociaux », poursuit la députée, « beaucoup de jeunes ont une réputation brisée, certains se suicident même. Or, les magistrats ont du mal à condamner. »
Les députées étaient essentiellement venues écouter, pour peser sur Mayotte 2025. Elles auront eu un programme recouvrant à la fois la santé, la culture et l’économie. Outre leur rencontre avec des élues mahoraises et la ministre Pau-Langevin, elles se sont rendues auprès des mamas chingo de l’Ecomusée à l’écomusée du sel de Bandrélé, ont échangé avec Tambati Moussa, présidente de l’association Ouzouri Wa Mtroumché, fervente défenseuse de la culture mahoraise, ont visité les différents réseaux, REDECA, REPEMA, le Planning familial, l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), l’Association nationale de lutte contre l’illettrisme, et le Salon de l’agriculture.
« Les banques ne suivent pas »
C’est avec les femmes d’Entreprendre au féminin que nous avions retrouvé la délégation. Qui leur faisaient remonter leur plus grand frein, « le mode de garde des enfants. » Des papas absents ou qui travaillent, c’est moins la création de crèches qui fait défaut « que les compétences ou les diplômes nécessaires »…
Pour Catherine Coutelle, c’est primordial : « les femmes doivent être autonomes, notamment quand on a affaire à un mari violent, qu’elles doivent pouvoir quitter. » Tout en esquissant l’idéal féminin, « la femme veut s’accomplir, être à la fois mère, épouse, chef d’entreprise, s’amuser… »
Des femmes chefs d’entreprise qui pouvaient confier les embûches de leur parcours. Qu’elles soient parties de rien ou super diplômées, elles font toute remonter les mêmes difficultés, « celle de la reconnaissance de notre statut à la maison et l’accès au financement bancaire ». « Les banques ne suivent pas », rebondissait la BGE, pourtant labellisée pour accompagner les créateurs d’entreprise, « excepté quand il s’agit de projets conséquents et que l’AFD appuie ».
Statistiques sexuées
« Nous avons des mères courage, qui, avec 6 enfants à charge, créent leur entreprise », rajoute la BGE. C’est un point positif que relèvera la Délégation, « la forte implication des femmes à Mayotte. Au Salon de l’Agriculture, l’une représentait sa pépinière, l’autre un premier prix national de confitures… » Avant d’évoquer les difficultés, « notamment l’illettrisme qui touche plus les femmes que les hommes ».
Et de donner plusieurs conseils en parallèle avec leur action à Paris. En matière de frilosité bancaire, « également constatée en métropole avec la Banque Publique d’Investissement », à qui elle demande des comptes, « avec un bilan annuel sur les projets aidés. » Justement, à Mayotte, difficile d’avoir des statistiques, malgré un mieux ces deux dernières années : « elles ne contiennent aucune donnée sexuée ici. Sans statistique, on ne peut évaluer l’ampleur d’un phénomène. »
Une égalité homme-femme qui ne se fera pas du jour au lendemain ici, « d’ailleurs en métropole, elle n’est pas la même en Creuse que dans les Hauts-de-Seine », mais pour laquelle un rapport spécifique à Mayotte sera remis, « pour répondre à la commande d’Ibrahim Aboubacar de plus d’égalité dans le cadre de Mayotte 2025. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte