Le verdict de l’affaire Roukia tombera le 20 janvier 2016, 5 ans quasiment jour pour jour après la découverte du corps de la jeune femme sur une plage de Mayotte. Réquisitions et plaidoiries pour la 4e et dernière journée du procès, avec une nouvelle fois, de lourdes accusations contre le GIR.
«Cette affaire n’a été faite que d’embûches et de coups bas.» La phrase a été prononcée par Me Larifou mais elle aurait pu l’être par bien d’autres avocats intervenant dans le procès de l’affaire Roukia. Ce jeudi, les plaidoiries de la partie civile comme de la défense, ont beaucoup porté sur les perturbations lourdes autour de l’enquête, laissant entrevoir un service de l’Etat tentant de masquer ses propres dysfonctionnements tout aussi invraisemblables.
Me Kamardine, l’avocat des parties civiles, après avoir rendu un vibrant hommage au travail du juge d’instruction Hakim Karki, est revenu sur la réaction du GIR alors que l’enquête semblait impliquer le service dans la mise en circulation de la drogue à l’origine de la mort de Roukia. Pour lui, le GIR ne poursuivait alors qu’un «seul dessein: déstabiliser ceux travaillaient sur le dossier. Juge, avocats, journalistes, il faut que personne ne bouge.»
Il parle de la mise au placard des enquêteurs, d’un préfet qui change, d’un procureur de la République de l’époque chargé, selon lui de 4 missions : assister à toutes les auditions, s’opposer à toutes les mises en examen, faire appel de ces mises en examen et demander le dépaysement de l’affaire. Tout semble décrire un Etat aux abois, qui tente de masquer des agissements bien peu recommandable en son sein.
Il y a 5 ans
Depuis 3 jours, les charges sont tellement lourdes que le procureur Joël Garrigue, sans revenir sur les errements du passé, se fend d’une mise au point avant d’entamer ses réquisitions: «Depuis le 30 décembre 2013, date à laquelle j’ai pris mes fonctions de procureur de la République, aucun gendarme, aucun préfet ne m’a demandé ce que devenait le procès Roukia. Et le procureur général de La Réunion s’est bien gardé de me donner des instructions. Les réquisitions que je vais développer devant vous, je vais les développer au nom de la loi».
On veut donc croire que Mayotte a changé d’époque. Me Larifou parlait d’ailleurs d’un sentiment de soulagement «de voir aboutir» ce procès. «Roukia est morte parce que les services de l’Etat n’ont pas fonctionné correctement!» a-t-il affirmé en ouvrant le bal des plaidoiries de la défense. Il défendait un des deux indics, Saïd Hamada M’ze, comorien arrivé à Mayotte en kwassa.
Evaporation
C’était un des nombreux petits arrangements du GIR avec la loi. Le groupe travaillait avec des informateurs en situation irrégulière utilisés pour infiltrer les filières d’immigrations clandestines et de stupéfiants, contre un prolongement d’un titre de séjour, «jamais remis» à son client, dénonce Me Larifou et contre des indemnités qui avaient tendance à s’évaporer… «On nous a dit que M. Gauthier devait lui verser 1.300 euros, il n’en percevra que 600 sur la période 2007-2011.»
L’avocat rappelle tout de même que c’est Mathias Belmer qui est venu le chercher pour obtenir de la drogue avant qu’il l’envoie vers Daniel Mohamed. Son client n’est donc pas directement lié à la mort de Roukia, tente-t-il de démontrer.
«Chassez l’opinion publique !»
Le GIR était défendu par Me Morel. Ses deux clients: Daniel Papa et ses 18 ans de gendarmerie, et Jérémie Bouclet, 20 ans dans la police. Il tape d’emblée sur une instruction à charge, une presse orientée et un secret de l’instruction bafoué. Pour lui, c’est l’affaire Roukia est aussi l’affaire Karki, du nom du juge «qui a mené une instruction dénuée d’impartialité, contrevenant à l’article 6 de la Convention européenne.»
L’avocat s’est logiquement employé à démontrer que la drogue remise en circulation par le GIR, «de la cocaïne», n’était pas celle que Roukia avait consommée, «de l’héroïne pour le procureur». Pour lui, le poids et la couleur de la poudre qui a transité par le GIR prouve qu’elle ne peut être celle consommée par Roukia. «Chassez l’opinion publique du prétoire», a-t-il demandé aux juges les appelant à ne pas céder à la dimension émotionnelle du dossier… Ils auront en effet probablement déjà beaucoup à faire.
Un gang
Enfin, l’audience s’est achevée sur un incident lors de la plaidoirie de Me Charles Simon, l’avocat de Mathias Belmer. La tante de Roukia s’est emportée suscitant une suspension d’audience un court instant. Me Simon venait de faire référence à la vie de Roukia «qui n’était pas un ange». Reprenant le terme de sousou (prostituée), sans aucune connotation péjorative, il évoquait sa consommation de drogue, d’alcool et ses relations avec les hommes. «Des gens brandissent Roukia comme une icône. Mais de son vivant, je crois que ces gens l’auraient méprisée», dit-il pour dépeindre le couple libre qu’elle formait avec Mathias Belmer.
Et pour mieux défendre son client, l’avocat replace le GIR de l’endroit qu’il n’aurait peut-être pas dû quitter, au «centre du dossier et des responsabilités». «Le GIR de 2010-2011, c’est un gang. Des hommes armés qui se reconnaissent avec des signes distinctifs -des uniformes- et qui ne respectent rien. La différence entre une bande armée et les forces de police, c’est le code de procédure pénale», lance-t-il. C’est bien en s’appuyant sur ce code, que les juges devront rendre leur décision dans cette affaire prélude à deux autres, très directement liées au mode de fonctionnement du GIR.
La rédaction
Le Journal de Mayotte