Au delà du Sénégal, ce pays d’Afrique de l’Ouest patrie du poète Léopold Sédar Senghor, qui le gouverna, c’est toute l’Afrique qui fait la fête ce samedi à Mamoudzou. Un échange était proposé sur les migrations. Un contexte transposable à la région.
L’association Vision d’Afrique en partenariat avec le conseil départemental de Mayotte proposait dans le cadre de la Journée culturelle sénégalaise la projection d’un documentaire de 52 minutes, « Bintou Wéré, les échelles de l’espoir ».
Il retrace la genèse difficile d’un opéra historique sahélien, mettant en scène des acteurs africains. Le défi était de rassembler 50 artistes de 12 pays différents, pour un opéra chanté en quatre langues, le wolof, le malinké, le bambara et le créole de Guinée Bissao. Avec une diction plus lente que les chants traditionnels africains, les voix s’élèvent, celles d’un premier opéra noir, une grande réussite.
Son sujet : la vie de l’héroïne Bintou Wéré, une ex-enfant soldat, qui tentait de mener, enceinte, ses compagnons à Melilla, enclave espagnole au Maroc, l’Eldorado. Les « échelles de l’espoir », sont celles que les habitants fabriquent minutieusement pour escalader au terme de leur voyage les barbelés de la frontière.
Une tragédie prophétique
Cette histoire va révéler une double tragédie, car si Bintou Wéré meurt au moment d’atteindre son but, l’actrice, la griotte (poétesse-chanteuse) Djénéba Koné, décède elle-aussi, en pleine gloire, d’un accident de voiture, et après une vingtaine de représentations à travers le monde, dont au théâtre du Châtelet, « une sorte de prophétie », lâchera l’animatrice ce samedi au cinéma Alpa Joe.
Il fut un prétexte à échanges en tout cas avec une salle plutôt remplie et métissée. Une réflexion collective plutôt sur l’exode de ces populations noires vers un occident trop souvent idéalisé, « pourquoi les africains ne voient leur réussite qu’en quittant leur pays ? », interrogeait Jaques Som, écrivain et enseignant.
Un des acteurs du film ne remarque-t-il pas : « Ceux qui sont partis disent que leur pays d’accueil, c’est le paradis. C’est un gros mensonge ! » Ce qu’appuie une Mauritanienne dans la salle, « nous dépensons notre argent d’européens quand nous y allons, prouvant notre réussite, et donnant une impression d’aisance. »
Quelques associations, dont Vision d’Afrique, travaillent à insérer les jeunes en emploi sur place pour éviter les départs et les risques liés, on peut même dire que certains « tournent le dos à la mer », comme le montre le film.
Pour un autre, les migrations ont toujours existé, « il y a bien 2.000 européens sans papier en Angola. Quand on n’est pas bien dans son pays, on part de toute façon ! » Un départ plus aisé au temps des colonies, « alors que maintenant, c’est plus compliqué, il faut une carte de séjour pour venir en France », remarquait Jacques Som, qui revenait sur la responsabilité des dirigeants, « si le nécessaire était fait, il n’y aurait pas de migrations. » Un écho sur les raisons de nos tragédies migratoires dans l’archipel des Comores.
Des dirigeants qui manquent d’ambition, constate l’ensemble de la salle, « cet opéra est la preuve qu’on peut produire quelque chose de grandiose. »
La journée se poursuivra avec un défilé de mode accompagné de musique et suivi d’une grande tombola.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte