C’est le procès des pratiques néfastes des recrutements et des emplois dans les collectivités qui était au centre de l’audience du tribunal correctionnel ce mercredi. Et de la plus importante d’entre elle, puisqu’il s’agissait de trois agents du conseil général de l’époque 2008-2011. Avec la mise en cause d’un élu UMP, Zaïdou Tavanday.
C’est une information remontée en 2013 au procureur qui va le conduire à ouvrir une instruction sur les emplois de trois agents du département. Mais on pourrait glisser que c’est l’instruction qui fait le larron. Or, comme le dira le procureur Joël Garrigue, le dossier n’est pas celui qui était espéré quand elle a été ouverte, des failles n’auront pas permis de poursuivre les investigations. En conséquence, « si l’infraction initiale était un détournement de fonds publics, on n’en a pas les preuves », constate-t-il. C’est donc plus un procès de la négligence que de détournements intentionnels de fonds publics.
Lorsque les enquêteurs viennent constater la présence des trois agents sur leur lieu de travail, ils vont de surprises en surprises. Dans l’un des bureaux, aucun éclairage, ses collègues ne le connaissent pas, « et votre table est recouverte d’une grosse couche de poussière, il n’y a pas de dossier, l’armoire est vide », détaille le juge Guillaume Bourin. Pour sa défense, Assani Malidé, dont le travail était de « trier des dossiers », reproche à sa direction de ne lui avoir donné aucun travail, « et je n’utilisais ce bureau que pour écouter de la musique ! », se défend-il.
Un signalement est effectué par un de ses supérieurs, qui indique que la DRH a stoppé toute procédure, « sur intervention des élus ».
Même constat pour Mounib Soilihi Mohamed, cousin de Zaïdou Tavanday, employé à la Direction de la logistique et de moyens, où « il garde les clefs ». Mais les enquêteurs ne trouvent ni de bureau à son nom, ni de trace de lui dans l’annuaire de services. Pour le procureur, sa maladie, qui l’oblige à se déplacer en métropole, n’explique pas tout : « Vous n’êtes plus présent dans le service entre 2008 et début 2012, mais nous ne trouvons pas de preuve d’arrêts maladie de 2009 à 2011. »
Deux de leurs supérieurs, Assani Hamissi, et Ahamadi Dini, comparaissent aussi à la barre. Ils avaient l’intention de dénoncer ces manquements, mais disent avoir tous deux reçu un appel de l’élu Zaïdou Tavanday, leur demandant de délivrer une bonne évaluation à Mounib Soilihi, « pour que son contrat soit reconduit, et qu’il puisse être recruté comme son assistant », précise Hanassi Anissi, ancien président de la section UMP de Mayotte, ancien, et bref, président du conseil général en 1997, qui est donc bien placé pour réjouter : « Quand un élu le demande, on est contraint de suivre ses instructions. On ne peut pas effectuer de procédures d’expulsion d’un des membres de leur famille, par exemple ».
… Mais des cadres formés pour résister
Le juge Guillaume Bourin reste sur ce terrain mouvant et s’adresse à Zaïdou Tavanday : « Avez-vous abusé de votre autorité et de votre mandat d’élu ? ».
L’ancien conseiller général UMP, désormais à la direction du cabinet du président du conseil départemental, ne reconnaît pas les appels qu’on lui reproche, et déplore que cette question n’ait pas été fouillée. Il est en phase là avec le procureur qui reproche à l’instruction de l’époque, menée par le juge Boehrer, de ne pas avoir étudié le relevé des communications, « qui ne peuvent être transmis que sur une durée d’un an. »
« Les responsables sont-ils vraiment à la barre du tribunal ? », pour une fois, c’est le procureur qui s’interroge et parle de lampistes.
Quant à l’influence de l’élu sur le fonctionnaire, Zaïdou Tavanday ne conteste pas : « cette culture de pression sociologique des élus est connue, mais les cadres de la territoriale sont normalement formés pour résister. »
Le troisième agent accusé d’emploi fictif, Issouf Saïd, est absent de l’audience, « il déserte son lieu de travail parce qu’il trouve son emploi dévalorisant », rapporte le juge.
« La théorie des baïonnettes intelligentes »
Le maillon faible du dossier, c’est encore une fois l’instruction : « le fait de ne pas se présenter sur un lieu de travail ne constitue pas une infraction pénale, juste une gabegie financière », remarque le procureur qui évalue à plusieurs dizaine de milliers d’euros le préjudice.
Ce qui débouche sur la deuxième particularité, qui fait craindre que l’audience n’ait aucune valeur d’exemple : le conseil départemental, seule grande victime du dossier, ne s’est pas porté partie civile, c’est à dire qu’il ne met personne en cause et ne peut prétendre à des dédommagements.
Or, pour le procureur, qui regrette qu’on n’ait pas remonté plus haut dans les responsabilités des élus, les accusés du jour auraient au moins du suivre la théorie des baïonnettes intelligentes : « il faut prendre en compte sa propre responsabilité pénale lorsqu’on reçoit un ordre de sa hiérarchie. »
Il va aller loin pour celui qu’il estime l’instigateur, Zaïdou Tavanday, en requérant contre lui, un an de prison avec sursis et 30.000 euros d’amende, comme pour les trois agents accusés d’emplois fictifs, Assani Malide, Mounib Soilihi Mohamed et Issouf Saïd, « et l’interdiction d’exercer pour tous les quatre un emploi dans la fonction publique ». 6 mois de prison avec sursis seront requis pour les deux cadres.
Le fonctionnement du conseil départemental en cause
La faillite de l’instruction avait pourtant porté à reconsidérer les chefs d’inculpation contre Zaïdou Tavaday qui n’était plus poursuivi de « complicité de détournements de fonds », mais de « complicité de recel ».
C’est dans les failles de cette enquête que vont s’engouffrer les avocats. Celui d’Assani Malidé pour démontrer que la négligence n’est pas prouvée, « ni les mesures qui auraient du être prises pour éviter cette négligence ». C’est bien le conseil départemental qui est responsable pour l’ensemble des avocats, « et les manières de fonctionner d’une collectivité à Mayotte avec des supérieurs qui ne se soucient pas du travail de ses subordonnés » pour l’un, « le clientélisme entre partis politiques », pour l’autre, « la pression permanente des élus contre les fonctionnaires », « l’absence du président du département de l’époque qui aurait du être entendu »… donnant donc partiellement raison au procureur.
La seule qui se démarquera de l’instruction, c’est l’avocate de Zaïdou Tavanday, qui démonte les allégations des deux cadres qui pourraient se dédouaner en impliquant ainsi un élu, et qui regrette que des investigations n’aient pas été menées sur les appels téléphoniques. Elle nie toute pression exercée par son client, « pour quel intérêt ? Parce qu’il serait de sa famille ! Mais il a trente cousins ! »
Six heures d’audience plus tard, le président annonçait un délibéré pour le 20 janvier 2016.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte