Le professeur Marcel Rufo l’avait promis lorsqu’il était venu à Mayotte en octobre dernier, son association ADOMTOM allait poursuivre ses travaux à Mayotte. Ce fut le cas la semaine dernière où deux pédopsychiatres ont apporté leur connaissance en matière de Maison des adolescents.
Contraction des mots « ado » et « DOM-TOM », l’association ADOMTOM du professeur de renom Marcel Rufo, se penche sur les problématiques adolescentes des territoires de Guyane et de Mayotte.
Sur notre île où la moitié de la population a moins de 18ans, un seul poste de pédopsychiatre, le professeur Real, est affecté au Centre hospitalier. En l’absence de prise en charge des mineurs par le conseil départemental ces dernières années, et de la perte de repère parentaux, beaucoup de jeunes devenus adolescents sont en souffrance.
L’association ADOMTOM apporte son savoir faire, « sans transposer de modèle occidental, mais en mettant en synergie et en conseillant les acteurs déjà présents sur le territoire », précise le pédopsychiatre Guillaume Bronsard, Directeur de la Maison des Adolescents des Bouches du Rhône, et Secrétaire général de la direction nationale des Maison des Adolescents, qui a passé la semaine dernière à Mayotte. Il est accompagné de sa directrice adjointe, Nathalie Bruneau, de la Directrice d’ADOMTOM, Isabelle Tepper, et du pédopsychiatre Saïd Ibrahim, ancien élève de Marcel Rufo, qui est un peu le « fil rouge » de l’opération.
Des passerelles entre les acteurs
A Mayotte, c’est donc essentiellement le tissu associatif qui porte la pédopsychiatrie. Tama, avec son centre Dago, et Apprentis d’Auteuil, sont ainsi les partenaires privilégiés d’ADOMTOM, ainsi que le vice-rectorat avec, bien sûr, le service de pédopsychiatrie du docteur Jean-Louis Réal au CHM. « Nous construisons des passerelles entre ces acteurs », indiquent-ils. En métropole, les Maisons des adolescents sont financées totalement ou pour partie, par le département.
Pour se frotter à la réalité des adolescents mahorais, ils ont entendu une vingtaine de collégiens de Dzoumogné, « ils ont évoqué leur mal être, des faits de harcèlement, des problèmes de relations familiales, et liés à leur projet d’avenir. » Mais pour Guillaume Bronsard, rien ne sert de mettre en place une détection efficace au niveau scolaire, si la prise en charge n’est pas bordée, « il faut organiser les partenariats entre les acteurs socio-éducatifs que sont par exemple l’Aide sociale à l’enfance ou la Protection judiciaire de la jeunesse et les médecins du service de pédopsychiatrie. Et redonner sa place à la famille. »
L’envie d’aller à l’école… pas en métropole
Leur expérience les incite à pencher pour un schéma d’une Maison des Adolescents adossée à la pédopsychiatrie, « qui pourra ainsi prendre en charge directement les cas les plus lourds », mais aussi au vice-rectorat, « vu le nombre de demandes de scolarisation. »
A ce sujet, il est amusant de noter que les tendances sont inversées avec la métropole : « à Marseille, les adolescents et leurs familles font tout pour ne plus aller à l’école, en donnant des raisons aussi superficielles que ‘la phobie scolaire’. Ici, ils veulent tous aller à l’école », note Guillaume Bronsard qui en déduit un axiome, « on ne peut pas tout transposer », mais qui note que c’est une des particularités de l’adolescent de vouloir ce qu’il n’a pas, et de s’opposer à ce qui est imposé.
Pas de victimisation poussée
Les deux pédopsychiatres ont une impression mitigée de leur passage d’une semaine à Mayotte : « à la fois une masse énorme d’adolescents à accompagner, mais aussi un fort optimisme chez les équipes qui travaillent avec eux. »
Un état d’esprit qui contraste avec la métropole, selon le pédopsychiatre, qui y décrit une ambiance morose, « sans doute liée à la victimisation trop poussée. » C’est en effet un des risques de la prise en charge, un piège dans lequel ils disent ne pas vouloir tomber à Mayotte, puisqu’elle n’aide pas toujours les personnes à se (re)construire, « et qui n’aide pas les vraies victimes, celles qui ont vraiment besoin d’être reconnues comme ayant subi un vrai traumatisme. »
Le passage de la délégation aura été bénéfique pour Said Ibrahim qui souligne que les personnes qui travaillent avec les adolescents sont bien souvent seuls à Mayotte et peuvent rapidement s’épuiser : « Ils ont aussi besoin d’être valorisés. » Le turn over n’arrange pas la situation, « surtout que l’adolescent a besoin de repères stables », fait remarquer Guillaume Bronsard qui évoque aussi un impact négatif sur la pérennité des collaborations entre institutionnels.
ADOTIOM va travailler à Mayotte pendant 3 ans, « avec un rythme de passage tous les trois mois », pendant lesquels ils maintiendront le contact avec un réseau qu’ils se constituent peu à peu, « pour retrouver le même groupe de fonctionnement à chacun de nos retours. »
Ils ont prévu de revenir en mars et en mai.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte