Un groupe de travail composé d’élus locaux va faire des propositions au gouvernement pour une refonte de la fiscalité locale. Il prend appui sur l’intervention d’un cabinet de conseil qui présentait ce jeudi son rapport au conseil départemental. En attaquant l’Etat tous azimuts. Parmi les solutions, l’appel à la rébellion des contribuables…
« Je suis propriétaire d’une maison de 130m2 dans le centre ville de Bordeaux et je paie 1.000 euros de taxe foncière »… Heureux homme que Philippe Nikonoff, directeur du cabinet A6CMO, envié par toute une assemblée composée ce jeudi de beaucoup de DGS et de responsables financiers des collectivités, et à l’invitation du président du conseil départemental. Car à Mayotte, les contribuables ont subi les foudres fiscales en 2015.
Le passage du droit coutumier au droit commun n’a pas seulement impliqué l’arrêt du prélèvement à la source pour l’impôt sur les revenus, il a automatiquement soumis les contribuables mahorais à une valeur locative fiscale jusqu’à cinq fois supérieure à la métropole, parce que basé sur l’année 2012 et non 1970 : « elle est de 2.500 euros en moyenne à Bordeaux contre 10.000 euros à Pamandzi. Or, le chef lieu de la Gironde est largement plus urbanisé que la commune de Petite Terre », compare ce spécialiste des territoires en difficulté qui avait mené une étude fiscale pour notre département en 2014-2015.
Et qui avait mis en garde, « nous avions proposé les taux les plus bas possibles », mais qui n’avait pas été écouté, «lorsqu’ils ont vu que les impôts ne rentraient pas comme prévu faute d’avoir cerné tous les contribuables, ils ont incité les communes à monter leurs taux. » C’est ainsi que dans une commune, le maire ne s’est pas gêné pour augmenter les taux de 4,91% à 40,50% ! Une contribution devenue insupportable pour le contribuable.
La France du XVIème siècle
La Cour des Comptes fait figure de sauveur sur ce coup, en accusant l’Etat d’avoir provoqué cette situation par impréparation, « c’est la deuxième fois que Mayotte réussit à se faire entendre sur des questions de société après la départementalisation. » Avant même sa publication le 13 janvier, le vent du boulet s’était fait sentir à Paris, et Manuel Valls avait convenu dans un double courrier-réponse au député Aboubacar et au président de l’association des maires Omar Oili qu’il fallait « refonder les ressources financières des Mayotte sur des bases saines et pérennes », pour les intégrer dans le projet de loi de finances 2017.
« La cour des comptes insiste sur les très lourdes défaillances de l’Etat, car il fallait auparavant analyser les enjeux de cette nouvelle fiscalité », poursuit Philippe Mikonoff. Résultat, le territoire est handicapé par une valeur locative élevée, un adressage défaillant qui ne permet de cerner tous les contribuables, « 50% seulement dans certaines communes », témoigne Thierry Galvain, Directeur des Finances publiques (DRFIP), et un cadastre pas bordé.
Sur ce dernier point, un parallèle est dressé avec la France du XVIème siècle : « En droit coutumier, il n’existait pas de titre de propriété et les nobles lorsqu’ils étaient ruinés, ne pouvaient céder leurs terrains. Des spécialistes, les « feudistes », clin d’œil du fiscaliste aux fundis mahorais, ont alors cherché les traces écrites, ce qui l’incite à conclure que « l’Etat aurait du prendre le temps, on a fait une grande économie de cerveaux parce que la situation était plus complexe ici. »
307 millions en plus
Car à Mayotte, société matriarcale, beaucoup de femmes sont propriétaires, mais ne sont pas capables pour autant d’acquitter des impôts assassins. Et elles ne sont pas les seules.
Des solutions, Philippe Mikonoff en a : « Il faut tout repenser ». Mauvaise nouvelle, « il est impossible de revenir sur la valeur locative », sauf à appliquer un coefficient de neutralisation « comme ce fut le cas pour les entreprises en métropole ». Il préconise que les élus travaillent le gouvernement au corps pour obtenir un alignement de la fameuse Dotation Globale de Fonctionnement : « si elle était alignée sur la Guyane, vous auriez perçu 307 millions d’euros supplémentaires, et encore, sur une population sous estimée, pour laquelle l’INSEE refuse de donner son prévisionnel faute de modélisation fiable. »
Parallèlement, travailler sur l’adressage et le cadastre en un partenariat communes-services fiscaux. A ce sujet, une carte Litto3D répertoriant les propriétaires de terrains est disponible au Conseil départemental.
Plus étonnant, il appelle les contribuables à provoquer des contentieux, en demandant par exemple des explications sur le classement de leur habitation ou sur les méthodes de calcul : « si 5.000 contentieux arrivent de Mayotte, la situation risque d’évoluer ! »
Réparation des injustices
Pour les entreprises, la création d’une zone franche urbaine qui exonèrerait des charges sociales, est préférée à la zone franche d’activité actuelle qui n’exonère que de l’impôt sur les sociétés « alors que la majorité d’entre elles ne font pas de bénéfices. »
« Une réforme mal préparée », « un défaut de programmation de l’Etat », Philippe Nikonoff reprend les termes de la Cour des comptes, une situation qui peut induire des tensions sur le territoire quand la population attendait autre chose de la départementalisation que des inégalités : « Y aura-t-il réparation des injustices que nous avons subies ? », interroge d’ailleurs Ali Hamid, président de la CCI Mayotte.
Pour mettre les effectifs en ordre de bataille avant le projet de loi de finances arbitré en juillet, le groupe de travail composé d’élus du département et de parlementaires devrait se réunir d’ici la fin du mois de janvier, indiquait le président du département Soibahadine Ramadani.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte